lundi 2 octobre 2017

Pas intéressants allez ! (suite)



J’avais, dans la dernière publication, rapporté un article de Morvan Lebesque, écrit il y a 50 ans, et je relevais que, bien qu’en France aujourd’hui on parlait peu de la classe sociale la plus pauvre pour rejeter l’immigration, l’actualité de cet article était pourtant éminente.
Vous pouvez relire, ou lire cet article
Pour résumer, un extrait du texte et la conclusion :
« Pas intéressants allez ! »  Cette petite phrase révélatrice, il faut, pour bien la comprendre, avoir été prolétaire, ne fut-ce qu'un temps. On apprend là une vérité pour toute la vie : la morale c'est la condition qu'on vous fait. Les ouvriers sont comme tout le monde, ni meilleurs ni pires. Les ouvriers sont vous et moi, avec leur bien et leur mal. Mais leur condition est de produire sans en tirer juste profit, c'est- dire d'être exploités, c'est-à-dire d'être opposants. Alors, on se défend d'eux avec des moralismes. Classe inférieure égale moeurs inférieures. A l'extrême, devant le bidonville : « Ah, ces gens-là ne sont guère intéressants, allez ! Vous pourriez vivre, vous, dans cette crasse ? »…En vérité, ce qui n'est pas intéressant, mais alors pas du tout ! , c'est cette absence de dimension de l’esprit et du cœur : c'est un système assez rétrograde pour nous parler morale, comme en 1900, quand il s'agit seulement de la condition humaine.

En Allemagne aujourd’hui, depuis les fameuses lois Hartz IV, le modèle qui inspire Emmanuel Macron a généré l’ostracisme envers les ayants droits à la solidarité étatique, qualifiés de parasites. En Allemagne on n’a jamais compté aussi peu de demandeurs d’emploi, ni autant de précaires. Le démantèlement de la protection sociale au milieu des années 2000 a converti les chômeurs en travailleurs pauvres. « L’enfer du miracle allemand », un article d’Olivier Cyran, journaliste indépendant allemand vivant en France,  décrit, par exemple, l’ambiance du Jobcenter d’un quartier berlinois : « … Un membre de l’équipe l’entraîne par le coude pour lui prodiguer ses conseils à l’écart : à qui adresser un recours, à quelle porte frapper pour porter plainte si le recours n’aboutit pas, etc... Parfois, le minibus sert de refuge pour traiter d’un problème à l’abri des regards ». « C’est l’un des effets de Hartz IV, observe Mme Freitag. La stigmatisation des chômeurs est si prégnante que beaucoup éprouvent de la honte à seulement évoquer leur situation devant d’autres. »
En 2005, on pouvait lire dans une brochure du ministère de l’économie, préfacée par le ministre Wolfgang Clement (SPD) et intitulée : « Priorité aux personnes honnêtes. Contre les abus, les fraudes et le self-service dans l’État social ». Dans le texte on pouvait lire : « Les biologistes s’accordent à utiliser le terme “parasites” pour désigner les organismes qui subviennent à leurs besoins alimentaires aux dépens d’autres êtres vivants. Bien entendu, il serait totalement déplacé d’étendre des notions issues du monde animal aux êtres humains. » Mais, « bien entendu », l’expression « parasite Hartz IV » fut abondamment reprise par la presse de caniveau, Bild en tête.
Les déclarations des leaders, dont particulièrement le SPD, sociaux-démocrates allemands, au pouvoir, s’enveniment :
« La misère, ce n’est pas la pauvreté du porte-monnaie, mais la pauvreté de l’esprit. Les classes inférieures ne manquent pas d’argent, elles manquent de culture. (...) La pauvreté découle de leur comportement, c’est une conséquence de la sous-culture. » Walter Wüllenweber, éditorialiste, Stern, 16 décembre 2004.
« La pauvreté n’est pas qu’une question d’argent. (...) Ce qui compte pour une famille, c’est de bien savoir dépenser son argent. (...) Un repas dans un fast-food est non seulement moins bon pour la santé, mais aussi plus coûteux qu’un ragoût avec des légumes de saison. »  Renate Schmidt, ministre fédérale de la famille (Parti social-démocrate, SPD), Bild am Sonntag, 27 février 2005.
« Seul celui qui travaille doit pouvoir manger. » Franz Müntefering, président du SPD, vice-chancelier et ministre fédéral du travail et des affaires sociales, devant le groupe SPD au Bundestag, 9 mai 2006.
« Si vous vous lavez et que vous vous rasez, vous trouverez un boulot. » Kurt Beck, président du SPD, s’adressant à un chômeur, Wiesbadener Tagblatt, 13 décembre 2006.
Aujourd’hui un actif sur dix est considéré comme pauvre en Allemagne.Le nombre de personnes concernées a plus que doublé en dix ans. Le chancelier SPD Schroeder, travail accompli pour le patronat, est retourné dans le privé, avec une rémunération conséquente. Et le SPD ne s’en remet toujours pas !
Quand aux victimes de la soi-disant « crise » : Pas intéressants allez !

L’Allemagne rejoint en cela les Etats-Unis où, selon le prix Nobel d’économie Krugman, les Républicains partisans de la politique libérale « du moins d’Etat », qualifient les pauvres de voleurs et de profiteurs.
Et voilà que notre Jupiter toujours aussi arrogant, exprime son mépris pour « les fainéants, les cyniques et les extrêmes… » Tiens ! Le rejet est à la mode. Quant aux médias, ils amalgament « les pauvres qui ne comprennent rien » et « votent donc pour Mélenchon et le Pen ». Pour eux, la démocratie n’est possible que dans une république « élitaire », donc revenir chez les grecs de l’antiquité sans doute. Le bon temps où le vote était réservé à la classe dominante. Quant il faudra envoyer les CRS contre les grévistes les gens « qui comprennent » pourront dire : « Pas intéressants allez ! »
Adieu le droit à la solidarité, à la justice sociale, aux fonctions de régulation de l’Etat. En route vers le barbarisme de la jungle économique. Retour vers le futur antérieur ! Le capitalisme dans sa phase de décomposition  « est un système assez rétrograde pour nous parler morale, comme en 1900, quand il s'agit seulement de la condition humaine ».
On parle plus obligeamment des fraudeurs au fisc, des spécialistes des paradis fiscaux, pourtant : « Nous, sans eux, on peut faire, mais eux, sans nous, ils ne sont rien »
A bientôt.