J’avais, dans la dernière publication, rapporté un article
de Morvan Lebesque, écrit il y a 50 ans, et je relevais que, bien qu’en France
aujourd’hui on parlait peu de la classe sociale la plus pauvre pour rejeter
l’immigration, l’actualité de cet article était pourtant éminente.
Vous pouvez relire, ou lire cet article
Pour résumer, un extrait du texte et la conclusion :
« Pas
intéressants allez ! »
Cette petite phrase révélatrice,
il faut, pour bien la comprendre, avoir été prolétaire, ne fut-ce qu'un temps.
On apprend là une vérité pour toute la vie : la morale c'est la condition
qu'on vous fait. Les ouvriers sont comme tout le monde, ni meilleurs ni
pires. Les ouvriers sont vous et moi, avec leur bien et leur mal. Mais leur
condition est de produire sans en tirer juste profit, c'est- dire d'être
exploités, c'est-à-dire d'être opposants. Alors, on se défend d'eux avec des
moralismes. Classe inférieure égale
moeurs inférieures. A l'extrême, devant le bidonville : « Ah,
ces gens-là ne sont guère intéressants, allez ! Vous pourriez vivre, vous, dans
cette crasse ? »…En vérité, ce qui n'est pas intéressant, mais alors pas
du tout ! , c'est cette absence de dimension de l’esprit et du cœur :
c'est un système assez rétrograde pour nous parler morale, comme en 1900, quand
il s'agit seulement de la condition humaine.
En Allemagne aujourd’hui, depuis les fameuses lois Hartz IV, le modèle qui inspire
Emmanuel Macron a généré l’ostracisme
envers les ayants droits à la solidarité étatique, qualifiés de parasites. En Allemagne on n’a jamais
compté aussi peu de demandeurs d’emploi,
ni autant de précaires. Le
démantèlement de la protection sociale au milieu des années 2000 a converti les
chômeurs en travailleurs pauvres. « L’enfer
du miracle allemand », un article d’Olivier Cyran, journaliste indépendant
allemand vivant en France, décrit, par
exemple, l’ambiance du Jobcenter d’un quartier berlinois : « … Un
membre de l’équipe l’entraîne par le coude pour lui prodiguer ses conseils à
l’écart : à qui adresser un recours, à quelle porte frapper pour porter
plainte si le recours n’aboutit pas, etc... Parfois, le minibus sert de refuge
pour traiter d’un problème à l’abri des regards ». « C’est l’un des
effets de Hartz IV, observe Mme Freitag. La stigmatisation des
chômeurs est si prégnante que beaucoup éprouvent de la honte à seulement
évoquer leur situation devant d’autres. »
En 2005, on pouvait lire dans une brochure du ministère de
l’économie, préfacée par le ministre Wolfgang Clement (SPD) et intitulée :
« Priorité aux personnes honnêtes. Contre les abus, les fraudes et le
self-service dans l’État social ». Dans le texte on pouvait
lire : « Les biologistes s’accordent à utiliser le terme “parasites”
pour désigner les organismes qui subviennent à leurs besoins alimentaires aux
dépens d’autres êtres vivants. Bien entendu, il serait totalement déplacé
d’étendre des notions issues du monde animal aux êtres humains. » Mais, « bien
entendu », l’expression « parasite Hartz IV » fut
abondamment reprise par la presse de caniveau, Bild en tête.
Les déclarations des leaders, dont particulièrement le SPD, sociaux-démocrates
allemands, au pouvoir, s’enveniment :
« La misère, ce n’est pas la pauvreté du porte-monnaie, mais
la pauvreté de l’esprit. Les classes inférieures ne manquent pas d’argent,
elles manquent de culture. (...) La pauvreté découle de leur comportement,
c’est une conséquence de la sous-culture. » Walter Wüllenweber, éditorialiste,
Stern, 16 décembre 2004.
« La pauvreté n’est pas qu’une question d’argent. (...) Ce
qui compte pour une famille, c’est de bien savoir dépenser son argent. (...) Un
repas dans un fast-food est non seulement moins bon pour la santé, mais aussi
plus coûteux qu’un ragoût avec des légumes de saison. » Renate Schmidt, ministre fédérale de la
famille (Parti social-démocrate, SPD), Bild am Sonntag, 27 février 2005.
« Seul celui qui travaille doit pouvoir manger. » Franz
Müntefering, président du SPD, vice-chancelier et ministre fédéral du travail
et des affaires sociales, devant le groupe SPD au Bundestag, 9 mai 2006.
« Si vous vous lavez et que vous vous rasez, vous trouverez
un boulot. » Kurt Beck, président du SPD, s’adressant à un chômeur, Wiesbadener
Tagblatt, 13 décembre 2006.
Aujourd’hui un actif sur dix est considéré comme pauvre
en Allemagne.Le nombre de personnes concernées a plus que doublé en dix ans. Le
chancelier SPD Schroeder, travail accompli pour le patronat, est retourné dans
le privé, avec une rémunération conséquente. Et le SPD ne s’en remet toujours
pas !
Quand
aux victimes de la soi-disant « crise » : Pas intéressants
allez !
L’Allemagne rejoint en cela les Etats-Unis où, selon le prix
Nobel d’économie Krugman, les Républicains partisans de la politique libérale
« du moins d’Etat », qualifient les pauvres de voleurs et de
profiteurs.
Et voilà que notre Jupiter toujours aussi arrogant, exprime
son mépris pour « les fainéants, les cyniques et les extrêmes… »
Tiens ! Le rejet est à la mode. Quant aux médias, ils amalgament
« les pauvres qui ne comprennent rien » et « votent donc pour
Mélenchon et le Pen ». Pour eux, la démocratie n’est possible que dans une
république « élitaire », donc revenir chez les grecs de l’antiquité
sans doute. Le bon temps où le vote était réservé à la classe dominante. Quant
il faudra envoyer les CRS contre les grévistes les gens « qui
comprennent » pourront dire : « Pas intéressants allez ! »
Adieu le droit à la solidarité, à la justice sociale, aux
fonctions de régulation de l’Etat. En route vers le barbarisme de la jungle
économique. Retour vers le futur antérieur ! Le capitalisme dans sa phase
de décomposition « est un système assez rétrograde pour nous parler morale, comme
en 1900, quand il s'agit seulement de la condition humaine ».
On parle plus obligeamment des fraudeurs au fisc, des
spécialistes des paradis fiscaux, pourtant : « Nous, sans eux, on peut
faire, mais eux, sans nous, ils ne sont rien »
A bientôt.