L ’Observatoire de la laïcité, dans le cadre de la
confection de son rapport annuel avait demandé à entendre la Fédération
nationale de la Libre Pensée. La délégation de celle-ci était conduite par son Président
Jean-Sébastien Pierre.
► Christian Eyschen, vice-Président :
Monsieur le
Président,
Mesdames et
Messieurs,
Tout d’abord, nous voudrions remercier l’Observatoire de la laïcité de nous avoir invités pour pouvoir
nous exprimer.
Nous sommes dans une période de voeux, donc on peut faire
des voeux. Il y a des temps d’incertitude et nous espérons vraiment que,
quelques soient les aléas de la vie politique, l’Observatoire et ses
responsables seront maintenus, parce que nous considérons, sans aucune
flagornerie, que l’Observatoire a montré son utilité. Il dit le droit, c’est
tout à fait intéressant, et le travail qui a été fait est tout à fait positif.
Nous espérons que cela va continuer.
Nous observons avec un certain amusement que même les
esprits chagrins ou critiques de l’Observatoire de la Laïcité sont parfois
amenés à reprendre des propositions et à demander que les propositions de
l’Observatoire soient mises en oeuvre. Comme quoi il ne faut pas désespérer du
genre humain.
Nous sommes attachés, à la Libre Pensée, à des principes dont un certain nombre ont été
rappelé par nos amis de la Ligue de
l’Enseignement et la Ligue des
Droits de l’Homme. La République n’est pas plurielle, le mouvement laïque
l’est et c’est très heureux qu’il le soit. Nous sommes très attachés à cette
distinction de sphère publique et sphère privée. Nous l’avons expliqué et
démontré de notre point de vue, même si nous avons parfaitement conscience
qu’en fait la difficulté n’est pas de monter et démontrer ce qu’est la sphère
publique, mais ce qu’est la sphère privée qui est beaucoup plus large, car elle
intègre tout une série de données.
Nous sommes aussi très attachés, c’est notre conception et
nous la partageons avec beaucoup, au fait que la laïcité, c’est la liberté et
non pas une succession d’interdits. C’est pour cela que lorsque l’on parle de
recrudescence de lois, cela nous pose quelques problèmes et nous sommes très
attachés à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen du 26 août 1789, parce que nous estimons que c’est quelque chose de
véritablement fondateur qu’il faut défendre absolument.
Par ailleurs, le débat sur « les racines » commence un peu à
être épuisant. On l’avait eu sur le traité constitutionnel européen et cela
s’est terminé comme on le sait. Il
faudra rappeler un jour qu’on ne juge pas un arbre à ses racines, mais à ses
fruits. C’est une différence d’approche importante parce que cela dépend de
ce que l’on veut et de ce que l’on fait. Est-ce que c’est un passé fantasmé ou
un avenir que l’on développe ?
Comme vous le savez sans doute, avec nos amis de la Ligue de
l’Enseignement, de la Ligue des Droits de l’Homme et bien d’autres, nous avons
lancé un Appel des laïques qui
reprend ces principes, qui trouve un écho important. Cela fait belles lurettes
qu’il n’y avait pas eu de déclaration d’intention avec un tel panel et une
telle diversité et c’est tout à fait porteur d’optimisme dans la situation.
Comme est aussi porteur d’optimisme ce qui est en train de
se passer sur un certain nombre de terrains juridiques. Je ne reprendrais pas
le problème des burkinis, car cela n’avait strictement rien à voir avec la
laïcité, mais avec la question des libertés.
Sur la question des crèches, nous sommes assez satisfaits
qu’à partir du moment où le débat est posé sur la place publique, les grands
principes sont rappelés et avancent. Par exemple, ce qu’a dit le vademecum de l’Association des Maires de France est
quand même important, même si on a vu que ce n’était pas simple à gérer pour
elle.
De la même manière, la plupart des positions de l’Observatoire
de la Laïcité nous conviennent, car cela va dans le sens de cette éthique de la
liberté.
Les arrêts du Conseil
d’Etat sur les crèches vont marquer, à terme, avec des conséquences, un
coup d’arrêt sur cet empiétement de l’espace public, de la sphère publique par
le religieux. Nous en sommes tout à fait convaincus, même si bien évidemment il y a des gens qui font des recours et des
actions et d’autres qui commentent les actions et recours des autres. Ils
sont d’autant plus virulents qu’ils n’ont pas fait de recours et pas d’actions.
C’est la loi du genre, mais nous pensons qu’il va y avoir véritablement un coup
d’arrêt et quelque chose de salutaire va être manifesté.
Nous allons nous exprimer cette semaine sur ce qui s’est
passé dans la Fonction publique. Nous avons d’ailleurs demandé une entrevue
avec Mme Girardin pour engager ce
débat.
Dernier point et non le moindre. Il y a un aspect qui doit
être abordé et qui est extrêmement important à nos yeux. C’est la loi El Khomri, dite loi Travail, et
notamment ce qu’elle indique sur la limitation des libertés dans les
entreprises privées. Nous avons le sentiment, tant sur le plan syndical que sur
la laïcité et les libertés publiques, que cette loi va connaître un long
calvaire de crucifixion juridique. Ce qui n’est pas pour nous déplaire
particulièrement, mais je pense que c’est quelque chose qui va avoir lieu et,
c’est une préoccupation que nous avons, parce que si au nom de la
discrimination, de la stigmatisation, on en vient à faire voter une loi par une
majorité dite « progressive et progressiste », qui dit qu’il faut réprimer les
opinions dans les entreprises, quel gigantesque retour en arrière !
Cela pose toute une série de problèmes. On voit bien là la
distinction entre la sphère publique et la sphère privée.
Je vous remercie.
► Jean-Sébastien Pierre, Président :
Monsieur le
Président,
Mesdames, Messieurs,
Je partage bien évidemment ce qui vient d’être dit par Christian
Eyschen sur cet aspect de sphère publique et sphère privée. Je trouve que le
débat sur le voile à l’université est particulièrement important et
particulièrement éclairant.
De ce point de vue-là, notre position est exactement la même
que celle qui a été développée par notre ami de la LDH, avec une argumentation
supplémentaire. Il a été souvent relevé que c’était parce que les étudiants
étaient majeurs que l’on ne pouvait pas leur appliquer la loi de 2004. C’est
une partie de la réalité, mais pas la seule. Je pense que l’habillement,
notamment dans les amphithéâtres, a toujours été libre dans ce pays tout du
moins depuis l’établissement des Franchises universitaires au 13ème siècle, en
ce sens qu’on a le droit, dans un amphithéâtre de l’université française, de
s’habiller comme on veut. On y a connu, cela ne se fait plus pour des raisons
de désuétude, des bonnes soeurs en cornette, des curés en soutane, des
militaires en uniforme et dans d’autres pays où les franchises universitaires
existent sous une autre forme, on y a connu des chefs indiens emplumés et des
trappeurs avec des toques de David Crockett. Je parle de cela, car ce n’est pas
que franco-français comme affaire. C’est le problème des Franchises
universitaires qui sont partagées très très largement dans le monde.
De ce point de vue-là, il me fait particulièrement plaisir
que ces attendus sur les Franchises universitaires en France aient été repris
et que la position sur le voile à l’université ait été reprise par l’unanimité
du CNESER et par la Conférence des Présidents d’Universités.
On peut considérer que de hautes autorités de l’université et de la recherche
scientifique en France ont pris position de façon libérale sur cette question,
que nous partageons entièrement.
Très rapidement sur l’enseignement supérieur. Là encore je
ne considère pas, pour ma part, que ce soit spécialement l’Islam qui pose
problème sur la laïcité dans l’enseignement supérieur. Je suis très inquiet et
très opposé au fait que les COMUE (Communautés d’Universités et
d’Etablissements) qui s’installent, aient la prétention, sans autre forme de procès,
d’intégrer tranquillement des universités catholiques – instituts catholiques.
Déjà les universités catholiques n’ont pas le droit de s’appeler comme cela,
elles l’osent pourtant de plus en plus. Celle d’Angers reprend son terme
d’université qu’elle avait abandonné pendant un temps, celle de Lyon également,
donc il y a une offensive très forte vis-à-vis de l’enseignement supérieur.
L’établissement des COMUE sous cette forme, associant indistinctement
l’enseignement public et l’enseignement privé, va porter de mon point de vue,
un coup assez dur à la laïcité dans l’enseignement supérieur.
Nous nous inquiétons de l’établissement, manifestement
concerté, dans une dizaine d’universités, de Diplômes universitaires dits de « connaissance des religions » qui
sont, dans leur déclaration, fait pour former les aumôniers et les imams. Ce
n’est pas toujours dit comme cela, mais c’est quand même l’esprit. L’esprit
n’est pas d’enseigner le droit laïque tout simplement de façon à ce que tout
étudiant qui en fait la demande, quel que soit son origine et son métier,
puisse en faire la démarche, mais explicitement de dispenser une formation à
des professions religieuses. Là, je pense que l’on a quitté l’esprit et la
lettre, au moins l’esprit, car évidemment il n’est pas question d’attaquer la
liberté de telle ou telle université de faire tel ou tel diplôme, cela fait
aussi partie des Franchises dont je parlais tout à l’heure, mais on peut au
moins en discuter le principe au minimum sur le plan philosophique.
J’ai vu par exemple à Rennes, une déclaration dans Ouest-France
donnant nommément la composition des étudiants inscrits dans ce diplôme
d’université, par religion. C’est la première fois de ma vie que je vois une
chose pareille ! Désigner les étudiants à une formation universitaire par leur
religion et leur rôle religieux.
Voilà le complément que je voulais apporter sur
l’enseignement supérieur et là aussi j’apprécie le travail fait par l’Observatoire
de la laïcité.
► David Gozlan, Secrétaire général :
Tout d’abord sur la formation des imams, ce qui nous a
interrogé, parce que c’est une presse de bonne foi qui a donné l’information,
c’est La Croix, c’est le fait que cette formation des imams, in fine, pour
qu’ils aient le tampon « République et Laïcité », ce soit l’Institut Catholique
de Paris qui la fournisse. Comme nous avons une pratique de l’Institut Catholique de Paris,
considérant qu’ils forment des prêtres pour détourner la laïcité, cela nous a
interrogé.
Toute la question, c’est celle de l’article 2 de la loi de
1905, parce que la vraie question, c’est : est-ce que la République doit
reconnaître ces prêtres, imams ou rabbins au titre de ministres du culte et les
former en tant que tels ou des gens en formation comme des étudiants-lambda
dans les universités ? La question elle est là. Et c’est exactement la même
question qui a été posée cet été avec la mise en place de la fondation de
l’Islam de France. C’est Islam de France
ou Islam en France ? Nous nous
pensons que c’est l’Islam en France, comme il y a un catholicisme, un judaïsme,
un protestantisme en France etc. Ce n’est pas DE France. Ce n’est pas à la
République de les reconnaître.
Cela rejoint un petit peu le rapport de l’Institut Montaigne qui a été donné dans cette espèce de
contradiction, où l’Institut Montaigne explique, sur la question de l’Islam
notamment : les citoyens musulmans sont sécularisés dans l’immense majorité,
mais nous préconisons une certaine forme de reconnaissance et une unification des
situations de type concordataire. Cela nous inquiète, car comme je l’ai déjà
dit devant l’Observatoire, lorsque la loi de 1905 a été faite elle a été
réalisée pour tous les cultes. Le culte musulman compris. Je le répète, il y
avait beaucoup plus de musulmans en France en 1905 qu’aujourd’hui. Il y en
avait 10 millions et Jean-Pierre
Chevènement explique dans une interview qu’il y en a 4,1 millions
aujourd’hui. Il y en avait donc le double en 1905 et il suffit d’appliquer la
loi à tout le monde et à tous les citoyens pour que chacun devienne citoyen.
Un dernier point sur l’instrumentalisation de l’Islam.
Lorsque l’on voit toutes ses affaires de voiles, ce qui interroge se sont les
Unes de journaux, parce que les images restent et se sont toujours des titres
chocs. Si vous regardez bien c’est toujours une femme voilée et une Marianne à
côté. C’est-à-dire une forme d’opposition République / religion. Il y a quand
même cette problématique-là qui est mise en avant. J’avais eu une discussion
avec l’Observatoire sur le traitement médiatique de la laïcité et je pense que
l’on n’a pas évolué, pas progressé sur ce terrain-là hélas.
S’il y avait une préconisation à avoir, c’est sur la
question de l’utilisation par les Elus. Je pense que le travail de l’Association des Maires de France est
essentiel. Quand les Elus arrêteront d’instrumentaliser la laïcité et/ou une
religion, en l’occurrence l’Islam, je pense qu’on gagnera en visibilité, en
clarté et on avancera. Il faudrait peut-être avoir des Elus assez courageux
pour faire des mises au point à certains moments sur ces questions-là de façon à
poser le débat de manière intelligente et claire.
Nous vous remercions.