Déclaration des
participants du Colloque de Toulouse
Des 26 et 27 novembre
2016 – Université Toulouse-Jean Jaurès
L’année 2016 a vu se tenir deux colloques sur la Guerre de
1914-1918, organisés par la Libre Pensée. Le premier à Aix-en-Provence, le 19
novembre, sur « Les colonies et leurs mobilisés dans la Grande Guerre » et le
deuxième, à Toulouse, sur la question des Nations.
La question des États-Nations est aussi importante
aujourd’hui qu’hier. En effet, l’une des théories mises en oeuvre par les
laudateurs des Institutions de l’Union européenne a été que l’État-Nation est
consubstantiel à l’idée de guerre. En conséquence, il faudrait faire
disparaître les États-Nations au profit de structures supranationales pour
faire disparaître les guerres. Or, le constat s’impose : l’Union européenne n’a
pas fait disparaître la guerre, bien au contraire. Elle tend même à devenir un
instrument de la guerre, menée au service de l’OTAN, c’est-à-dire au compte des
intérêts de la Banque Mondiale, du FMI et de la Banque centrale européenne.
La Guerre de 1914-1918 fut bien une guerre contre les
Nations : elle préparait un siècle de souffrances, de misères, de destructions
et d’exodes massifs. Les flots de réfugiés aujourd’hui sont les conséquences
directes de la Première guerre mondiale et des conséquences qu’elle a
engendrées, des problèmes qu’elle n’a pas résolus.
Les participants au Colloque de Toulouse ont pu faire
plusieurs constats :
1°) - La guerre a d’abord été une guerre économique de
rapines et de prébendes pour accroître les intérêts des puissances
belligérantes. Les USA n’ont jamais cessé de fournir des biens matériels aux
puissances centrales. Malgré le blocus « officiel » contre l’Allemagne, les
États-Unis ont continué de lui transmettre des marchandises et des matières
premières pour la guerre, par l’intermédiaire des pays neutres. Business is
business. Les historiens, dans leurs études actuelles, ont démontré que, sans
cette aide, l’Allemagne aurait été vaincue dès le début de 1916. Jamais la
formule d’Anatole France - « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour les
industriels » - n’aura été aussi vraie.
2°) - Si la guerre a profité aux grands groupes
capitalistes, dont beaucoup se sont constitués à cette occasion, cette guerre a
considérablement appauvri les puissances belligérantes, les vaincus comme les
vainqueurs, hormis les USA qui sont sortis du conflit en position de force. La
Deuxième guerre mondiale amplifiera encore ce processus.
Le tableau ci-dessous montre que les pays neutres ont connu
une progression importante de leur PIB pour la période 1913-1929, ce qui ne fut
pas le cas pour les pays en guerre :
Pays neutres % par an
Suède : 1,9
Finlande : 2,4
Danemark : 2,7
Suisse : 2,8
Norvège : 2,9
Pays-Bas : 3,6
Pays combattants % par an
Royaume-Uni : 0,7
France : 1,9
Italie : 1,7
Belgique : 1,4
Allemagne : 1,2
Autriche : 0,3
La guerre a eu des conséquences dramatiques, sur tous les
plans, pour les Nations et pour les peuples.
3°) - Si la plupart des Empires disparaîtront (Allemagne,
Autriche-Hongrie, Ottoman, Russie), seul l’Empire britannique résistera, sans
doute parce qu’il appartenait au camp des vainqueurs, comme l’Empire colonial
français. Force est de constater, par contre, que les formes parlementaires des
ex-Empires des Puissances centrales disparaîtront toutes à l’issue de la
guerre. Ce ne fut donc ni une guerre pour la morale, ni une guerre pour la
démocratie.
4°) - Cette guerre a été un conflit embrassant au fur et à
mesure la quasi-totalité des pays. Des déclarations de guerre vont se succéder
tout au long des années du conflit :
- 1er août 1914 : L’Allemagne déclare la guerre à la Russie.
- 3 août 1914 : Déclaration de guerre de l'Allemagne à la
Serbie et à la France.
- 4 août 1914 : La Grande-Bretagne déclare la guerre à
l'Allemagne.
- 2 novembre 1914 : La Turquie déclare la guerre à la Russie
- 24 mars 1915 : L’Italie entre dans le conflit.
- 27 août 1916 : La Roumanie déclare la guerre à
l’Autriche-Hongrie.
- 6 avril 1917 : Les États-Unis déclarent la guerre aux
puissances centrales.
- 29 juin 1917 : La Grèce entre dans le conflit.
Ce sont les intérêts politiques, économiques, territoriaux
qui expliquent l’entrée dans le conflit des pays et non une quelconque volonté
de lutter pour la démocratie. Là aussi, Business is business. La question de
possibles gains territoriaux est aussi déterminante dans l’action des
belligérants.
5°) - Beaucoup de corps constitués et de personnes ont
poussé à participer à la mobilisation guerrière, souvent celle des autres, car
selon une formule célèbre, « ils étaient toujours prêts à se battre avec la
dernière goutte du sang des autres ». Beaucoup de champs d’activités ont été
étudiés depuis. Il y en a un cependant qui a relativement échappé aux
investigations des historiens : celui des chercheurs et des scientifiques, dont
nombre d’entre eux ont participé activement, par l’intermédiaire de leurs travaux,
à la grande boucherie.
Quasiment seuls, le grand libre penseur Lord Bertrand Russel
au Royaume-Uni et G.G. Nicolaï à Berlin ont voulu faire entendre la voix du
pacifisme internationaliste dans le conflit. Il serait intéressant que la Libre
Pensée consacre un colloque ou une conférence publique à cette question.
Notamment pour établir les conséquences futures de tout cela dans les conflits
suivants. « C’est un désir singulier que de rechercher le pouvoir pour perdre
la liberté ». – Francis Bacon.
6°) - Si le pacifisme s’est exprimé tout au long du conflit
(voir le discours de la Libre Pensée pour le 11 novembre 2016), il l’a fait
sous des formes différentes. Il y eut aussi une expression internationaliste
clairement manifesté à Zimmerwald (1915), à Kienthal (1916) et Stockholm
(1917).
2016 est le centième anniversaire du Manifeste
internationaliste de Kienthal, nous voulons en citer quelques passages qui
montrent sa brulante actualité.
Manifeste de Kienthal
AUX PEUPLES QU’ON
RUINE ET QU’ON TUE !
Prolétaires de tous
les pays, unissez-vous !
Deux ans de guerre mondiale ! Deux ans de massacres ! Deux
ans de réaction !
Qui donc est responsable ? Où sont donc - derrière ceux qui,
au dernier moment ont allumé l’incendie - ceux-là qui l’ont voulu et préparé
depuis un quart de siècle ?
Ils sont parmi les privilégiés !... « Les institutions du
régime capitaliste qui disposent du sort de peuples, les gouvernements
(monarchiques ou républicains), la diplomatie secrète, les puissantes
organisations patronales, les partis bourgeois, la presse capitaliste, l’Église
- sur elles repose toute la responsabilité de cette guerre, surgie d’un ordre
social qui les nourrit. »…
Après avoir couché dans la tombe des millions d’hommes,
désolé des millions de familles, fait des millions de veuves et d’orphelins,
après avoir accumulé ruines sur ruines, et détruit irrémédiablement une partie
de la civilisation, cette guerre criminelle s’est immobilisée. Malgré les
hécatombes sur tous les fronts, pas de résultats décisifs. Pour faire vaciller
seulement ces fronts, il faudrait que les gouvernements sacrifient des millions
d’hommes.
Ni vainqueurs ni vaincus, ou plutôt tous vaincus,
c’est-à-dire tous saignés, tous épuisés : tel sera le bilan de cette folie
guerrière. Les classes dirigeantes peuvent ainsi constater la vanité de leurs
rêves de domination impérialiste…
Que vos voix nombreuses crient avec les nôtres : À bas la
guerre ! Vive la paix !
TRAVAILLEURS DES VILLES ET DES CHAMPS !
… Le vrai but de cette boucherie mondiale est, pour les uns
de s’assurer la possession du butin qu’ils ont rassemblé pendant des siècles et
au cours d’autres guerres ; pour les autres d’aboutir à un nouveau partage du
monde, afin d’augmenter leur lot en annexant des territoires, en écartelant des
peuples, en les rabaissant au niveau des parias.
… La guerre n’a jamais tué la guerre. Au contraire, en
excitant les sentiments et les intérêts de « revanche », la guerre prépare la
guerre, la violence appelle la violence….
Il n’y a qu’un moyen d’empêcher les guerres futures : C’est
la conquête du gouvernement et de la propriété capitaliste par les peuples
eux-mêmes. La « paix durable » sera le fruit du Socialisme triomphant.
PROLÉTAIRES !
Regardez autour de vous. Quels sont ceux qui parlent de
prolonger la guerre jusqu’au bout, jusqu’à la « victoire » ? Ce sont les
auteurs responsables, les journaux alimentés aux fonds secrets, les
fournisseurs aux armées et tous les profiteurs de guerre, les
social-nationalistes, les perroquets de formules guerrières gouvernementales,
les réactionnaires qui se réjouissent en secret de voir tomber sur les champs
de bataille ceux qui menaçaient hier leurs privilèges usurpés, c’est-à-dire les
socialistes, les ouvriers syndicalistes et ces paysans qui semaient le blé
rouge à travers les campagnes…
Assez de ruines aussi ! Car c’est sur vous, peuples
travailleurs, que tombent et tomberont ces ruines. Aujourd’hui, des centaines
de milliards sont jetés au gouffre de la guerre et perdus ainsi pour le
bien-être des peuples, pour les oeuvres de civilisation, pour les réformes
sociales, qui auraient amélioré votre sort, favorisé l’instruction et atténué
la misère….
Peuples qu’on ruine et qu’on tue, debout contre la guerre !
Courage ! N’oubliez pas que, malgré tout, vous êtes encore le nombre et que
vous pourriez être la force. Que dans tous les pays, les gouvernements sentent
grandir en vous la haine de la guerre et la volonté de revanches sociales, et
l’heure de la paix sera avancée.
À bas la guerre !
Vive la paix ! - la
paix immédiate et sans annexions.
Vive le socialisme
international !
Les participants au colloque de Toulouse entendent
poursuivre leurs actions incessantes et fécondes pour la réhabilitation
collective des Fusillés pour l’exemple de 1914-1918. Ils appellent les militants
pacifistes internationalistes à multiplier les démarches pour amplifier les
prises de positions des Conseils généraux (31 à ce jour), des Conseils
régionaux (6 à ce jour) et des Communes (près de 2 000 à aujourd’hui) qui
exigent cette réhabilitation collective.
Les participants au colloque de Toulouse remercient les
nombreuses associations amies et les organisations syndicales ouvrières qui
exigent de concert cette réhabilitation collective.
Les participants au colloque de Toulouse appellent toux ceux
qui se reconnaissent dans la cause de la réhabilitation collective des Fusillés
pour l’exemple à intensifier la collecte des fonds nécessaires pour que soit
érigé un monument en leur hommage sur la ligne de front et à faire circuler
l’Appel à la République des descendants des Familles de Fusillés pour
recueillir un maximum de signatures.
Toulouse, le 27 novembre 2016