Il est toujours bon pour expliquer le présent de se référer au passé, à l’Histoire. Notre manière de penser est, le plus souvent inconsciemment, un produit de notre vécu, d’une vérité relative, dépendante de notre milieu et de notre localisation pendant ce vécu. Manuel Valls a expliqué dans un discours qu’expliquer, c’était commencer à excuser. Non monsieur, essayer d’expliquer est tenter de trouver des solutions. Ne pas le faire est se murer dans une vérité relative, c’est oublier que la Raison existe pour être exercée.
Ma mémoire m’a rappelé que
mon père m’avait donné, très jeune, un petit opuscule géographique, avec
beaucoup de cartes, ce qui me passionnait, sur les colonies françaises.
Ce petit livre écrit par Georges
R. Manue, édité en 1940, s’intitulait « L’Empire français ». L’auteur
est référencé à la BNF (Bibliothèque Nationale), à l'ISNI, à l’IdRef, au VIAF donc
une référence de l’époque.
Il était à cette époque
(pourtant après le Front Populaire) normal de nommer Empire, les pays
colonisateurs et leurs conquêtes coloniales. La rhétorique suit les mouvements
de l’idéologie dominante, mais si les mots utilisés changent au gré de la
classe dominante, la pensée est longtemps marquée dans l’inconscient collectif
des peuples vous diront les neuro-cogniticiens. Voyez 150 ans après la
généralisation scientifique de la théorie de l’évolution, combien la récusent
encore, ou la fourvoient dans des déformations indignes (Les pronazis par
exemple et le fameux darwinisme social, qui n’a aucun lien avec Darwin).
Je vous livre ici la préface de l’auteur :
« L'Empire sauvera la
France » répète-t-on depuis la défaite.
Mais qu'est-ce que l'Empire ?
Plus que jamais nous avons besoin de définitions claires qui cernent leur
objet.
Il n'y a pas une France et
son Empire, ou bien un empire colonial de la France, comme on le dit souvent.
L'empire : c'est la
communauté des intérêts spirituels et matériels de la France dans la Métropole
dans ses provinces d'outre-mer, et dans tout lieu du monde où un Français
travaille avec son esprit, sa manière de français, où un étranger parle la
langue française et participe ainsi à notre culture.
On entend bien que ces vastes
limites imparties à une France universelle sont de deux ordres. Il y a celles
qui entourent des terres dûment possédées, pacifiées, bonifiées et celles qui,
respectueuses des pavillons étrangers, n'intéressent que l'esprit. Ce petit
livre veut s'attacher à montrer ce qu'est cette France d'Outre-Mer, née de la
volonté patiente du vieux pays, ce qu'elle représente dans l'actif français,
par la contribution qu'elle a apportée à l'économie nationale depuis cinquante
ans, par l'avenir fécond qu'elle permet d'envisager, pour peu que nous le
voulions.
Chaque nation d'occident,
prenant pied sur une terre neuve, en a entrepris la bonification selon les lois
de son tempérament. Avec des réussites inégales, quant à la durée tout au
moins. Le succès du Portugal et celui de l'Espagne furent éclatants. On a pu
critiquer certaines méthodes appliquées par les conquistadores qui ne
craignaient guère la brutalité.
Mais la justification des
colonisations ibériques, elle nous est sensible jusque dans le présent, Les
métropoles ont pu perdre de leur puissance européenne passer du rang où elles
primaient à un second plan. Mais les rejets plantés par elles en Asie, en
Amérique centrale, en Amérique du Sud, sont d'une étonnante vigueur. Encore
adolescents et pour différenciés qu'ils soient de la nation originelle, des
pays comme les républiques sud- américaines témoignent pour l'Espagne et pour
le Portugal.
A quoi est due cette
persistance ? A ceci, que le Portugal, mais l'Espagne surtout, ont imposé aux
naturels leur foi catholique et leur langue nationale. Non sans une sévère
contrainte certes : la conquête a eu ses martyrs.
Mais l'arbre jugé à ses
fruits, avec ce recul des siècles, comment ne pas admirer ?
L'Angleterre s'est
médiocrement souciée de l'âme des colonisés. Maîtresse dans la science de tirer
d'une terre toutes ses ressources, elle a bien compris que son succès était lié
à une collaboration des indigènes dans le travail. Considérant les noirs ou les
jaunes comme les instruments de son œuvre, elle a donné tous ses soins à
l'amélioration de leur condition matérielle. Il n'y a eu que rarement des famines
ou des disettes dans les possessions anglaises. Gérant son empire en bon
propriétaire - mais non en père de famille - l'Anglais n'a jamais hésité à
faire l'effort financier nécessaire pour équiper ses colonies en voies de
communications, en matériel de tous ordres. Elle a largement récolté parce
qu'elle n'avait pas lésiné au moment des semailles.
Mais quelles seront, dans un
avenir prochain, les conséquences de ce dédain, dans lequel la Grande-Bretagne
a tenu la vie intérieure des indigènes ?
La France, elle, a fait un
empire d'abord par des réussites individuelles. Audace dans la conquête,
magnanimité dans la pacification, débrouillage dans la mise en valeur.
On peut lui reprocher d'avoir
souvent négligé l'aspect matériel des problèmes qu'elle avait à résoudre. Il
faut se souvenir du peu d'intérêt que la Métropole, comblée, donnait aux
colonies jusqu'au lendemain de l'autre guerre.
En revanche, chaque Français
engagé dans une action de quelqu'ordre qu'elle fût, outre- mer, révélait une
âme d'apôtre. Il faisait des Français avec ces noirs, ces blancs, ces jaunes
qu'il commandait, enseignait, soignait.
Cette faculté d'imprégnation
provoquait l'étonnement admiratif des étrangers. A l'épreuve, on a pu en
mesurer l'efficacité. Les soldats d'outre-mer se sont tous battus en héros avec
le sentiment de se battre en Français, et non pas pour les Français. Notion
peut- être obscure chez la plupart, mais fort nette et cent fois vérifiée.
Dans le présent une fidélité
générale à la France meurtrie s'exprime en mots naïfs ou ampoulés. On fait la
part d'un certain conventionnel. Mais interrogez les Français qui sont en
contact permanent avec l'indigènes en Asie et en Afrique, ils vous diront leur
certitude d'un attachement dont ils ignoraient qu'il fût si profond, si délié
de l'intérêt matériel.
Cela se traduit par des
gestes tout simples un mot, une phrase qu'on peut résumer en ceci : « Nous sommes avec vous parce que
nous sommes français. » C'est là la part propre de la France, la part du
coeur. On la retrouvera, égale à elle-même tout au long de ces mille ans
d'histoire qui séparent notre temps de la création, au XIème siècle, d'une
première France d'Outre-Mer : le royaume de Jérusalem, oeuvre des Croisés.
Georges R. Manue 1940
Photo : L'Empire triomphant
Quelques repères sur « L’Empire français ».
La France se lance dans la
conquête de l'Afrique avec la campagne militaire d'Algérie (1830-1847) contre
des troupes locales emmenées par Abdelkader. La législation de conquête mise en
place en Algérie dès 1834, y est confirmée par la loi du 28 juin 1881.
L’Algérie est un département français (en fait 3 départements). Puis elle
colonise la majeure partie de l’Afrique occidentale et équatoriale,
l'Indochine, ainsi que de nombreuses îles d'Océanie. Elle établit en Algérie un
régime de l'indigénat qui est une législation d'exception et un ensemble de
pratiques utilisées dans les territoires du second empire colonial français
depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'après la Seconde Guerre mondiale. Cet
ensemble de pratiques est resté disparate, et si l'on parle fréquemment de Code
de l'indigénat, il ne s'agit pas d'un texte unique. L'indigénat est aboli en
1946 mais certaines pratiques perdurent jusqu'aux indépendances. Des décrets en
étendent peu à peu la pratique, sous des formes variées, à l'ensemble de
l'empire colonial français à partir de 1881. Il s'agit d'une justice
administrative qui s'applique aux seules personnes définies comme
« indigènes ». Elle ne respecte pas les principes généraux du droit
français, en particulier en autorisant des sanctions collectives, des
déportations d'habitants et en sanctionnant des pratiques que la loi n'interdit
pas, sans défense ni possibilité d'appel.
Le second espace colonial atteint
son apogée après la Première Guerre mondiale, lorsque la France reçoit de la
Société des Nations un mandat sur la Syrie et le Liban.
Pendant la Seconde Guerre
mondiale, les territoires français d'Outre-mer sont un enjeu central :
entre l'été 1940 et la mi-1943, la quasi-totalité bascule dans le camp des
forces de résistance. Malgré des tentatives d'intégration plus grande des
colonies dans la République (Union française en 1946), celles-ci restent dans
un état de sujétion, et leurs élites et populations ne se satisfont plus de cet
état de fait. La décolonisation de l'Afrique occidentale et de l'Asie diminue
drastiquement l'étendue de l'outre-mer français entre 1954 (accords de Genève,
fin de la guerre d’Indochine) et 1962 (accords d'Évian, fin de la guerre
d’Algérie). Celui-ci se limite alors aux départements d'outre-mer, déjà
intégrés à la République, aux colonies du Pacifique, et à quelques possessions
résiduelles. Entre 1975 et 1980, trois colonies obtiennent l'indépendance,
achevant la décolonisation de l'Afrique : les Comores sauf Mayotte, les
Afars et Issas et les Nouvelles-Hébrides.
Les historiens, après les
militants anticolonialistes en leur temps, soulignent l'incohérence existant
entre l'affirmation des principes républicains par la France (« Liberté, Égalité, Fraternité ») et
la pratique autoritaire de la colonisation, notamment par l'intermédiaire du
Code de l'Indigénat et du travail forcé. La colonisation en Afrique a bâti des
États dont les frontières ne correspondent pas au découpage ethnique, séparant
certaines ethnies entre plusieurs États, ou rassemblant au contraire des
ethnies rivales dans le même État.
Si la colonisation s’est
faite par les armes, il en fut souvent de même pour la décolonisation, guerre
appelée en Algérie « pacification ».
La France a attiré dans la
métropole dans les années 50/60 une main d’œuvre issue des
« départements » de l’Empire qu’elle souhaitait intégrer. Comme le
dit Boris Cyrulnik psychiatre-cogniticien à propos de l’intégration « Dans
un premier temps les migrants acceptent de se taire et de souffrir en secret
pour être acceptés. Mais leurs enfants savent qu’ils ont des parents amputés
d’une partie d’eux-mêmes et cela peut devenir une bombe à retardement ». Avec
le temps il semble que, contrairement à ce que pensait Georges R. Manue, l'Angleterre
« qui s'est médiocrement souciée de l'âme des colonisés » a mieux
réussi la libération de ses colonies que la France qui s’est souciée plus de
l’âme des indigènes, que (soi disant) de l'aspect matériel des problèmes. Les
colonies ont bien rapporté à une époque à la France.
A bientôt.