lundi 16 mai 2016

Non, Guardiola et Simeone ce n’est pas le même chose, par François Sorton.



A quoi sert le football pour le commun des mortels? A cette question de prime abord simpliste ou infantile, on a juste envie de répondre à prendre du plaisir, à se distraire, à passer un bon moment. En étant si basique, on a l’impression ridicule d’enfoncer une porte ouverte. A ceux - dont nous sommes - qui pensent donc que l’Atletico Madrid et son entraîneur Diego Simeone sont des venins toxiques justement parce qu’ils tuent le plaisir, tous nos prétendus experts (entraîneurs ou ex-joueurs) nous expliquent que nous sommes de robustes crétins et que nous ne savons pas apprécier la science et la culture de la gagne.
Miroir Du Football — 8 Mai 2016

En faisant preuve de curiosité, on a beaucoup lu et entendu les commentaires depuis mardi soir et c’est une déferlante enthousiaste à l’égard de Simeone  ; juste certains ont osé une légère préférence pour un jeu plus ouvert. Mais comme il y eut une Mourinhomania, une Guardiolamania, il y a aujourd’hui une Simeonemania. Tout est pareil, tout se vaut, disent-ils, attaquer, défendre, peu importe du moment que la victoire est au bout. Les plus audacieux ont  même décrété qu’après le football de possession de la balle incarné par le Barça et l’équipe d’Espagne, la tendance symbolisée par l’Atletico allait prendre le pouvoir avec des déductions qu’ils jugent imparables  : le Bayern a eu la balle 72% du temps, a réussi 625 passes contre 147 mais a perdu, donc Simeone est plus fort que Guardiola. Ah  ! Ces syllogismes hâtifs, péremptoires, comme si une victoire allait décider du futur du football. Cette notion de modernité est en fait d’un fol archaïsme, elle nous ramène 50 ans en arrière, à l’époque de l’Inter de Milan du Franco-Argentin Helenio Herrera. Herrera-Simeone, même combat, libero en moins  : le vice est aussi constant (les coups sont moins fréquents grâce à l’amélioration de l’arbitrage), sur chaque touche, chaque remise en jeu, on grappille du temps, au moindre choc on se roule par terre, au moindre coup de sifflet on ceinture l’arbitre, enfin du grand classique de pourrissement de match.
Si Simeone a du génie –il en faut pour tenir tête durablement avec 200 millions d’Euros face au Real et au Barça qui en ont 550- c’est un génie démoniaque, le génie de la destruction. Depuis que le football existe, est-ce qu’une équipe a autant et aussi remarquablement défendu collectivement, autant rendu l’adversaire impuissant  ? On n’en a pas le souvenir. Est-ce qu’une équipe a déjà été aussi assommante  ? Peut-être mais l’Atletico n’est pas mal placé dans le palmarès. Imagine-t-on le désastre lorsque deux équipes identiques se rencontrent  ? On l’a vécu en huitièmes de finale de la Champion’s League. Le PSV Eindhoven, reniant une tradition plutôt joueuse, a rivalisé tant à l’aller qu’au retour  : 9 défenseurs campés devant leur but, une demi-occasion en 180 minutes jusqu’à l’épreuve des tirs au but au bout de la nuit et de l’ennui.
Venin contaminant   
D’une certaine manière, les gagnants font toujours école, influencent le jeu. Depuis l’avènement du Barça, beaucoup d’équipes en Europe jouent mieux au football, perdent moins vite le ballon, ont amélioré leur fond de jeu. Le phénomène est perceptible à près partout, sauf en France malheureusement qui accuse beaucoup de retard et n’a pas compris qu’il fallait offrir autre chose. Elle ne se pose même pas la question de savoir pourquoi, alors que de nombreux stades ont été construits ou rénovés, la moyenne de spectateurs est en chute libre (20  695 contre 22  033 l’an passé, soit 7% de moins) alors que le PSG fait le plein partout. Si le virus Atletico devait sévir quelque part, soyons sûrs que nous serions les premiers servis. C’est pourquoi il faut souhaiter la victoire du Real en finale. L’équipe de Zidane n’est pas très brillante, son jeu est un peu décousu avec les purs contre-attaquants que sont Cristiano Ronaldo et Gareth Bale mais enfin elle essaie de jouer. Simeone en perdrait du coup un peu de hauteur et de grandeur. Ce n’est même pas une question de morale mais de salubrité publique. Ecoutons l’entraîneur de Sochaux, Albert Cartier qui fait souvent descendre les équipes dont il a la charge  :  «  J’aime les «  impact players  » de l’Atletico  ». Des sorties comme ça rempliraient des cahiers depuis mardi soir.
Éthiquede responsabilité
Alors que le football a entamé une épreuve de visibilité et de popularité universelle, que les droits télé explosent partout dans le monde, que l’on consomme le football comme un divertissement ou un spectacle, l’avènement de la pieuvre Atletico serait évidemment contre-productif s’il faisait boule de neige. L’épopée doit rester un feu de paille, un épiphénomène. Simeone, c’est vrai, inspire le respect parce qu’à l’inverse de Mourinho, par exemple, égocentrique exacerbé, il s’appuie sur une haute culture collective, la diffusion d’un supplément d’âme, une adhésion totale. Du respect, donc mais aussi de l’effroi car la propagation de «  l’esprit Simeone  » nous plongerait dans la désolation d’un football de «  muerte  ».
Simeone et Guardiola nous font penser à deux chercheurs maîtres es-football  : le premier a inventé un poison, le second un vaccin. On préfère un vaccin à un poison.

Allez faire un tour de temps en temps sur ce site si vous aimez le "beau" football, en tout cas le foot collectif et construit.
A bientôt.