En ces temps de célébration du centenaire de la grande boucherie de 14-18, dite « la grande guerre », il est aussi temps de rappeler certaines vérités la concernant, qui devraient nous faire réfléchir, car elles sont toujours d’actualité. Et oui ! Cent ans après ! Le temps passe, et pourtant c’est si court par rapport à l’Histoire.
Tout d’abord je voudrais rappeler qu’au moment où le Président de la République refusait de réhabiliter les Fusillés pour l'exemple (1), le jury Goncourt couronnait le roman de Pierre Lemaitre « Au revoir là-haut »(2), dont le titre reprend les derniers mots de la dernière lettre du soldat Jean Blanchard, fusillé pour l'exemple avec cinq de ses camarades, le 4 décembre 1914 à Vingré. L'auteur, connu pour ses romans policiers, écrit ici une histoire de la fin de la guerre où les personnages sont exemplaires de la réalité de ce carnage, dans un style qui sait aménager surprises et rebondissements, et dont je recommande vivement la lecture. Dans une interview au Courrier Picard, il déclare : « je crois que mon travail a été dirigé, piloté par une pensée qui est celle d'Anatole France, qui disait : ''On croit mourir pour la patrie, mais on meurt pour les industriels.''…Il n'y a aucun doute que de toutes les guerres - et celle de 14 peut-être plus que les autres - le capitalisme s'en nourrit. L'industrie adore la guerre avant, pendant, après. Et j'ai pensé que si on regardait l'après-guerre, l'axe était encore plus amer plus décapant. »
Anatole France
Dans l'épilogue, l'auteur rappelle que les malversations relatives aux sépultures n'ont pas été inventées : il y a bien eu un scandale qui a éclaté en 1922 et qui a mis en cause les « mercantis de la mort ». Quant à l'arnaque aux monuments aux morts, elle est le fruit de son imagination et comme il l'écrit : « Ainsi, l'un des faits est réel, l'autre non, mais ç'aurait pu être l'inverse. » !
Nous entrons ainsi dans le vif du sujet. La réalité dépasse souvent la fiction. L’ambition, le cynisme : un lieutenant, qui veut devenir capitaine, comprend qu'il n'a plus beaucoup de temps pour obtenir du galon, il se crée une « occasion ». Un général aimerait bien fusiller pour l'exemple un de nos deux soldats, accusé à tort de désertion. L’horreur : les hôpitaux militaires surchargés, dans l'incapacité de faire face à l'afflux des blessés. Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d'avantages, même après…
Après l’armistice, on trouve ces soldats bien gênants avec leurs mutilations et leurs gueules cassées; on voudrait les oublier, mais cela peut rapporter. Tous les sentiments sont présents dans ce magnifique livre.
Jean Jaurès
C’est un exemple de la folie meurtrière de nos exploiteurs, car comme disait Jean Jaurès (député socialiste, interpellation à la Chambre des députés, le 8 mars 1895) : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l'état d'apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l'orage. (. . .) Il n'y a qu'un moyen d'abolir la guerre entre les peuples, c'est abolir la guerre économique, le désordre de la société présente ». Et Anatole France le 18 juillet 1922 dans l’Humanité : « La guerre mondiale fut essentiellement l’œuvre des hommes d’argent. Ce sont les hauts industriels des différents Etats de l’Europe qui la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent…Ces hommes là, ils ressemblent à leurs Hauts fourneaux dont il faut sans cesse, le jour, la nuit, emplir les entrailles de minerais, de charbon, afin que ruisselle au bas la coulée de métal. Leur insatiable appétit exige qu’on jette au feu, sans relâche, dans la paix, dans la guerre, toutes les richesses du sol et tous les fruits du travail, et les hommes, oui, les hommes par troupeaux, par armées, tous précipités pêle mêle dans la fournaise béante afin que s’amassent à leur pieds les lingots, toujours plus de lingots ».
Depuis rien n’a changé si ce n’est la manière. Le grand combat de nos parents, grands parents ou arrière grands parents en 36 a apporté des droits et une certaine justice à la classe ouvrière. Malgré une tentative de destruction en 40, le rapport de force de la lutte de classes en 45 a permis une embellie durant quelques décennies. La brèche ouverte en 68 après la trahison de l’appareil stalinien et de l’action simultanée des « gauchistes » a permis ce que nous vivons, de reculs en reculs sur tous les droits sociaux.
Et la folie meurtrière a continué. Ils ont fait la guerre quand ils l’ont décidé, guerre mondiale, guerres coloniales, aujourd’hui guerres sous différents prétextes, de guerre mondiale à guerre mondialisée, parfois sous le couvert d’une certaine démocratie. Dans ce système pourrissant, les mots patrie, qui désigne, étymologiquement, le pays des pères, ou nation persistent pour diviser la classe laborieuse, alors qu'il n'ont plus cours pour l'argent des exploiteurs qui monopolisent le pouvoir de leur monde « mondialisé ». En France les dirigeants de gauche, comme de droite, favorisent la formation des communautarismes, au mépris de la République française laïque, laïcité si bien définie par la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905. Tous les ingrédients sont bons pour diviser le peuple quand on veut monopoliser toutes les richesses. Ils n’hésitent pas à nous faire croire que s’il y a des pauvres, c’est parce qu’ils sont fainéants, ou profiteurs, ou étrangers, comme le fait si bien le Tea Party aux Etats-Unis et les partis d’extrême droite européens. Les communautarismes sont une conséquence du système, pas la cause des tensions. Il faut éliminer la cause pas le résultat. Faire croire qu’on peut éliminer le résultat par des restrictions de circulation, des isolements, c’est du « populisme ».
Et pendant ce temps les grands profiteurs encaissent. Toutes les statistiques prouvent que le fossé se creuse entre richesse et pauvreté. Si 14-18 est un exemple de la folie meurtrière de nos exploiteurs, aujourd’hui, comme hier, n’ayez crainte pour sauvegarder leurs avoirs : « Leur insatiable appétit exige qu’on jette au feu, sans relâche, dans la paix, dans la guerre, toutes les richesses du sol et tous les fruits du travail, et les hommes, oui, les hommes par troupeaux, par armées, tous précipités pêle mêle dans la fournaise béante afin que s’amassent à leur pieds les lingots, toujours plus de lingots ».
Cent ans après Jean Jaurès, (le vrai, pas celui revendiqué par Sarkozy ou Hollande-Valls) :
« il n'y a toujours qu'un moyen d'abolir la guerre entre les peuples, c'est abolir la guerre économique, le désordre de la société présente. »
Au-delà des célébrations de ce centenaire, il faut se rappeler ce que devrait nous enseigner l’Histoire, par l’enseignement laïque généralisé, comment on peut en finir avec ces retours à la barbarie. La lutte des classes est toujours à l’ordre du jour.
A bientôt.
(1) Sur le combat pour la réhabilitation des Fusillés pour l'exemple voir :
http://www.fnlp.fr/spip.php?article1070
(2) Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre chez Albin Michel