vendredi 27 décembre 2013

Espagne, crise, affaires, intégrisme catholique.



Début novembre notre migration vers le sud commence; nous traversons une contrée appelée Catalogne. Les panneaux de signalisation sont en catalan. De toute façon quand on entre en Espagne il faut être multilingue pour suivre la signalisation. Aux balcons sont accrochés des drapeaux jaunes et rouges, mais … à plusieurs bandes horizontales au lieu de trois, apparence extrêmement importante pour se différencier du rival espagnol, à qui l’on demande de reconnaître l’indépendance de l’autonomie catalane. Le 11 septembre pour la fête de la Catalogne, la Diada, une chaîne humaine s’est formée de la frontière nord à la frontière sud pour demander cette indépendance. Impressionnant !
L’indépendance aujourd’hui plus qu’hier, pourquoi ? Parce que la classe populaire en a assez de supporter seule le poids de la soi disant crise financière. Mais aujourd’hui les circonstances sont exceptionnelles car il s’agit d’un processus qui échappe aux institutions européennes. Cette Union Européenne qui a mis en place les processus (diviser pour régner) de régionalisation et de balkanisation des pays, est aujourd’hui, en Catalogne, dépassée par ses conséquences. A mettre de l’huile sur le feu parfois on se brûle. Les dirigeants au pouvoir sont allés très loin : « la Catalogne aux catalans » ! Et pourtant ceux-ci ont pratiqués plus de « recortes » que l’administration centrale de Madrid, ce qui n’est pas peu dire !... Ils savent aller loin dans tous les sens. Et la police catalane, les Mossos, entretient une mauvaise réputation suite à de nombreuses « bavures ».

Nous continuons vers Castellon, pour prendre l’autoroute gratuite qui dessert l’aéroport. Qui dessert, un bien grand mot, car l’aéroport tout neuf n’a jamais ouvert faute de passagers. La communitat Valenciana, aux mains du PP, et quand je dis aux mains je pourrais préciser aux mains sales vu les nombreuses « affaires » et inculpations, a investi pour un avenir différent. Investi, en tout cas a touché beaucoup de « commissions » occultes. La côte de Castellon est la région espagnole où l’on trouve le plus grand nombre d’appartements vides de toute l’Espagne, et là aussi ce n’est pas peu dire ! Mais ici les églises adventistes, pentecôtistes, du petit jésus de la Trinité, de la sainte du vendredi, etc… sont florissantes. Une bien bonne chose la religion, pour calmer les contestataires. Et bien sûr une nouvelle langue, le « patois valencian ». Patois, je vais être déclaré indésirable !

On arrive ensuite à la petite « Region de Murcia » et l’Andalousie, ici la signalisation reste en « castellan », et l’usage de l’espagnol est quasi général. L’Andalousie se distingue par le fait que la « junta a Andalucia » est la seule autonomie aux mains du PSOE en Espagne. Les « problèmes » ne sont pas absents pour autant : scandale des ERE, etc… Pour les espagnols les andalous sont déjà des « maures », un camping cariste catalan m’a dit un jour : « en passant ici en rentrant du Maroc, je croyais que j’y étais encore, les gens, le paysage ». Cette année la sécheresse est particulièrement importante. A la « frontière » murciane, à Aguilas, une visite à la galerie marchande de l’Eroski nous donne une idée du recul de l’activité espagnole : de 30% des magasins fermés, nous en sommes à 80%. Désolant.

La lecture de la presse, en particulier El Pais, nous donne une idée de l’actualité.
Les scandales sont nombreux qui touchent la famille royale (caso Urdangarin, le gendre du roi, l’Infante, …), le PP au pouvoir (les cas sont si nombreux que je ne vous citerais que Bardenas le trésorier du PP), et le PSOE.
L’Opus Dei, intégristes catho dont la réputation n’est plus à faire, ancien bras droit et même tête pensante de Franco, a été viré de la « commandantur » au Vatican par le nouveau pape, son leader en Espagne le Cardinal Rouco mis à la retraite par le même François. Ce  pape François chargé de remettre « un peu d’ordre ou de morale selon les canons religieux » dans la Curie et notamment dans la banque du Vatican, qualifiée par la commission Européenne de « techniquement criminelle ». Cet Opus Dei reste très puissant au gouvernement espagnol par l’intermédiaire, en particulier, du Ministre de l’Intérieur, prêtre laïc de l’Opus. L’Espagne va donc rétablir l’interdiction de l’IVG, loi promulguée par le gouvernement Zapatero, et d’autres lois réactionnaires dictées par les « intégristes catho ».

Pedro Solbes, ancien ministre des Finances de Zapatero, ancien commissaire européen, s’impose aussi dans l’actualité avec un livre dans lequel il défend sa démission du gouvernement Zapatero en invoquant l’incompatibilité de ses options économiques avec celles de son chef. Intéressant. Il dit lui avoir demandé d’imposer la politique d’austérité recommandée par la Commission Européenne, et celui-ci a refusé parce qu’il avait discuté avec l’économiste américain Krugman, prix Nobel, qui critique cette option. Solbes a démissionné, et prétend maintenant que l’Espagne aurait gagné 2 ans. Deux ans de gagné pour qui ? On s’en doute. Ce n’est qu’une opinion, et ça dépend dans l’intérêt de qui on se place. On voit, lui, quels intérêts il défend ! On constate aujourd’hui les résultats de « l’austérité » : le supplément « Negocios » du 24.11.2013 d’El Pais indique que l’enquête annuelle du Crédit Suisse donne en Espagne un nombre de millionnaires de 13% supérieur par rapport à l’année dernière et un doublement du nombre de personnes en « extrême pauvreté ». Pour la Troika ce sont des chiffres « rassurants » mais il faut encore des restrictions sur les pensions de retraite.
En 2011 Zapatero a reçu par lettre (Il n’est pas le seul à en parler) un ultimatum de la Commission et le 7 septembre 2011 il fait voter « la règle d’or » (en France TSCG) qui rend obligatoire l’examen du budget du pays par cette Commission Européenne. La souveraineté des Etats devient un leurre. L’austérité est la règle sans discussion. Le budget, ressource de l’Etat, outil de sa souveraineté, de tous les pays de l’UE passe de « recommandation » à « obligation ». (Nous avons cette fin d’année en France le premier budget passé par Bruxelles, contre l’avis du peuple qui a refusé le traité l’instituant). A l’époque un avocat espagnol Isaac Ibanez décide d’écrire à Bruxelles pour demander la publication de la lettre. Réponse : « la lettre est maximo secreto ». Puisque cette époque revient à la mode, on l’a interviewé sur la suite qu’il a donnée à cette interpellation. Il a ensuite contacté le Défenseur des peuples européens, les réponses furent les mêmes. Sa remarque : « une Commission non élue qui dirige en fait l’Europe a des secrets pour les peuples, où est la démocratie ? ». Concluez vous-mêmes.
Puisque nous parlons de Krugman, signalons qu’il tient une rubrique sur le supplément dominical « Negocios » du journal El Pais. Il développe une défense du capitalisme en totale contradiction avec les politiques d’austérité imposées par les financiers et les économistes à la mode. Dans un article intitulé : « La guerre contre les pauvres », il tance les dirigeants républicains américains qui disent « que si tu es pauvre c’est que d’une certaine façon tu es un incompétent ou un vagabond », « le gouvernement Obama aide les perdants », « la protection sociale est un hamac dans lequel se vautre des gens sains, mais qui vivent de la dépendance et de la complaisance », « les marchés ont raison, donc les gens qui finissent dans la pauvreté méritent d’être pauvres », en leur répondant « qu’ils ont un esprit d’adolescents libertaires fantaisistes ». En fait « la base  républicaine (et surtout Tea Party) sont conscients que leur condition de blancs est chaque jour plus minoritaire ». Consciemment ou inconsciemment le racisme prend le dessus sur la raison. Dans « Complot contre la France », il dit « que pour les défenseurs de l’austérité, la  France a commis l’impardonnable péché d’avoir une fiscalité responsable et une sécurité sociale qui ne faisait pas souffrir les pauvres et pour cela elle doit être châtiée ». Dans « Ces allemands déprimants », il accuse les allemands « de chercher à démolir ses partenaires, et de ne pas cotiser suffisamment pour construire une Europe viable ». Ainsi on comprend mieux le « différend » entre Solbes et Zapatero.

A Marinaleda, le village andalou de « l’utopie communiste » (pas celle de Staline), mauvaise nouvelle : Sanchez Gordillo, le maire, et quelques autres dirigeants sont passibles de prison pour « occupation illégale d’une finca publique ». Vu le durcissement des peines imposé par la nouvelle loi dite de Sécurité votée par le gouvernement Rajoy ils sont pratiquement certains de finir en prison.

Le revirement sécuritaire et « moralisateur » catholique intégriste fait de l’Espagne un des pays européens les plus rétrogrades. Le XXIème siècle ne démarre pas sous les auspices prévus par les experocrates médiatiques aussi rapides à tourner leur veste qu’à avoir un avis autorisé. Ne nous flattons pas, nous avons eu notre « manif pour tous » avec des curés hurleurs à leur tête qui ne dépareraient à l’Opus Dei.

Un seul point satisfaisant, l’Espagne est le pays « modèle » pour l’Europe d’intégration des « gens du voyage », pour prendre une dénomination générale, pourtant avec une population de ce type très nombreuse. Certes tout n’est pas rose, mais l’exemple est probant d’intégration et de vie commune. J’en parlerais sans doute prochainement.

Partout la politique européenne fait payer aux travailleurs par les restrictions budgétaires et la baisse du coût du travail la crise du système, mais même s’ils ne sont plus que des exécutants, les gouvernements sont directement responsables puisque ce sont les seuls élus.

A bientôt.