Début novembre notre migration vers le sud commence; nous
traversons une contrée appelée Catalogne. Les panneaux de signalisation sont en
catalan. De toute façon quand on entre en Espagne il faut être multilingue pour
suivre la signalisation. Aux balcons sont accrochés des drapeaux jaunes et
rouges, mais … à plusieurs bandes horizontales au lieu de trois, apparence
extrêmement importante pour se différencier du rival espagnol, à qui l’on
demande de reconnaître l’indépendance de l’autonomie catalane. Le 11 septembre pour
la fête de la Catalogne, la Diada, une chaîne humaine s’est formée de la
frontière nord à la frontière sud pour demander cette indépendance.
Impressionnant !
L’indépendance aujourd’hui plus qu’hier, pourquoi ? Parce
que la classe populaire en a assez de supporter seule le poids de la soi disant
crise financière. Mais aujourd’hui les circonstances sont exceptionnelles car
il s’agit d’un processus qui échappe aux institutions européennes. Cette Union
Européenne qui a mis en place les processus (diviser pour régner) de
régionalisation et de balkanisation des pays, est aujourd’hui, en Catalogne,
dépassée par ses conséquences. A mettre de l’huile sur le feu parfois on se
brûle. Les dirigeants au pouvoir sont allés très loin : « la Catalogne aux
catalans » ! Et pourtant ceux-ci ont pratiqués plus de
« recortes » que l’administration centrale de Madrid, ce qui n’est
pas peu dire !... Ils savent aller loin dans tous les sens. Et la police
catalane, les Mossos, entretient une mauvaise réputation suite à de nombreuses
« bavures ».
Nous continuons vers Castellon, pour prendre l’autoroute
gratuite qui dessert l’aéroport. Qui dessert, un bien grand mot, car l’aéroport
tout neuf n’a jamais ouvert faute de passagers. La communitat Valenciana, aux
mains du PP, et quand je dis aux mains je pourrais préciser aux mains sales vu
les nombreuses « affaires » et inculpations, a investi pour un avenir
différent. Investi, en tout cas a touché beaucoup de « commissions »
occultes. La côte de Castellon est la région espagnole où l’on trouve le plus
grand nombre d’appartements vides de toute l’Espagne, et là aussi ce n’est pas
peu dire ! Mais ici les églises adventistes, pentecôtistes, du petit jésus
de la Trinité, de la sainte du vendredi, etc… sont florissantes. Une bien bonne
chose la religion, pour calmer les contestataires. Et bien sûr une nouvelle
langue, le « patois valencian ». Patois, je vais être déclaré
indésirable !
On arrive ensuite à la petite « Region de Murcia »
et l’Andalousie, ici la signalisation reste en « castellan », et
l’usage de l’espagnol est quasi général. L’Andalousie se distingue par le fait
que la « junta a Andalucia » est la seule autonomie aux mains du PSOE
en Espagne. Les « problèmes » ne sont pas absents pour autant :
scandale des ERE, etc… Pour les espagnols les andalous sont déjà des « maures »,
un camping cariste catalan m’a dit un jour : « en passant ici en
rentrant du Maroc, je croyais que j’y étais encore, les gens, le paysage ».
Cette année la sécheresse est particulièrement importante. A la
« frontière » murciane, à Aguilas, une visite à la galerie marchande
de l’Eroski nous donne une idée du recul de l’activité espagnole : de 30%
des magasins fermés, nous en sommes à 80%. Désolant.
La lecture de la presse, en particulier El Pais, nous donne une
idée de l’actualité.
Les scandales sont nombreux qui touchent la famille royale
(caso Urdangarin, le gendre du roi, l’Infante, …), le PP au pouvoir (les cas
sont si nombreux que je ne vous citerais que Bardenas le trésorier du PP), et
le PSOE.
L’Opus Dei, intégristes catho dont la réputation n’est plus
à faire, ancien bras droit et même tête pensante de Franco, a été viré de la
« commandantur » au Vatican par le nouveau pape, son leader en
Espagne le Cardinal Rouco mis à la retraite par le même François. Ce pape François chargé de remettre « un
peu d’ordre ou de morale selon les canons religieux » dans la Curie et
notamment dans la banque du Vatican, qualifiée par la commission Européenne de
« techniquement criminelle ». Cet Opus Dei reste très puissant au
gouvernement espagnol par l’intermédiaire, en particulier, du Ministre de
l’Intérieur, prêtre laïc de l’Opus. L’Espagne va donc rétablir l’interdiction
de l’IVG, loi promulguée par le gouvernement Zapatero, et d’autres lois
réactionnaires dictées par les « intégristes catho ».
Pedro Solbes, ancien ministre des Finances de Zapatero,
ancien commissaire européen, s’impose aussi dans l’actualité avec un livre dans
lequel il défend sa démission du gouvernement Zapatero en invoquant
l’incompatibilité de ses options économiques avec celles de son chef.
Intéressant. Il dit lui avoir demandé d’imposer la politique d’austérité recommandée par la Commission Européenne,
et celui-ci a refusé parce qu’il avait discuté avec l’économiste américain
Krugman, prix Nobel, qui critique cette option. Solbes a démissionné, et
prétend maintenant que l’Espagne aurait gagné 2 ans. Deux ans de gagné pour
qui ? On s’en doute. Ce n’est qu’une opinion, et ça dépend dans l’intérêt
de qui on se place. On voit, lui, quels intérêts il défend ! On constate
aujourd’hui les résultats de « l’austérité » : le supplément
« Negocios » du 24.11.2013 d’El Pais indique que l’enquête annuelle
du Crédit Suisse donne en Espagne un nombre de millionnaires de 13% supérieur
par rapport à l’année dernière et un doublement du nombre de personnes en
« extrême pauvreté ». Pour la Troika ce sont des chiffres
« rassurants » mais il faut encore des restrictions sur les pensions
de retraite.
En 2011 Zapatero a reçu par lettre (Il n’est pas le seul à
en parler) un ultimatum de la Commission et le 7 septembre 2011 il fait voter
« la règle d’or » (en France TSCG) qui rend obligatoire l’examen du
budget du pays par cette Commission Européenne. La souveraineté des Etats
devient un leurre. L’austérité est la règle sans discussion. Le budget,
ressource de l’Etat, outil de sa souveraineté, de tous les pays de l’UE passe
de « recommandation » à « obligation ». (Nous avons cette
fin d’année en France le premier budget passé par Bruxelles, contre l’avis du
peuple qui a refusé le traité l’instituant). A l’époque un avocat espagnol
Isaac Ibanez décide d’écrire à Bruxelles pour demander la publication de la
lettre. Réponse : « la lettre est maximo secreto ». Puisque
cette époque revient à la mode, on l’a interviewé sur la suite qu’il a donnée à
cette interpellation. Il a ensuite contacté le Défenseur des peuples européens,
les réponses furent les mêmes. Sa remarque : « une Commission non
élue qui dirige en fait l’Europe a des secrets pour les peuples, où est la
démocratie ? ». Concluez vous-mêmes.
Puisque nous parlons de Krugman, signalons qu’il tient une
rubrique sur le supplément dominical « Negocios » du journal El Pais.
Il développe une défense du capitalisme en totale contradiction avec les
politiques d’austérité imposées par les financiers et les économistes à la mode.
Dans un article intitulé : « La guerre contre les pauvres », il
tance les dirigeants républicains américains qui disent « que si tu es
pauvre c’est que d’une certaine façon tu es un incompétent ou un vagabond »,
« le gouvernement Obama aide les perdants », « la protection
sociale est un hamac dans lequel se vautre des gens sains, mais qui vivent de
la dépendance et de la complaisance », « les marchés ont raison, donc
les gens qui finissent dans la pauvreté méritent d’être pauvres », en leur
répondant « qu’ils ont un esprit d’adolescents libertaires
fantaisistes ». En fait « la base républicaine (et surtout Tea
Party) sont conscients que leur condition de blancs est chaque jour plus
minoritaire ». Consciemment ou inconsciemment le racisme prend le dessus
sur la raison. Dans « Complot contre la France », il dit « que
pour les défenseurs de l’austérité, la
France a commis l’impardonnable péché d’avoir une fiscalité responsable
et une sécurité sociale qui ne faisait pas souffrir les pauvres et pour cela
elle doit être châtiée ». Dans « Ces allemands déprimants », il
accuse les allemands « de chercher à démolir ses partenaires, et de ne pas
cotiser suffisamment pour construire une Europe viable ». Ainsi on comprend
mieux le « différend » entre Solbes et Zapatero.
A Marinaleda, le village andalou de « l’utopie
communiste » (pas celle de Staline), mauvaise nouvelle : Sanchez
Gordillo, le maire, et quelques autres dirigeants sont passibles de prison pour
« occupation illégale d’une finca publique ». Vu le durcissement des peines
imposé par la nouvelle loi dite de Sécurité votée par le gouvernement Rajoy ils
sont pratiquement certains de finir en prison.
Le revirement sécuritaire et « moralisateur »
catholique intégriste fait de l’Espagne un des pays européens les plus
rétrogrades. Le XXIème siècle ne démarre pas sous les auspices prévus par les
experocrates médiatiques aussi rapides à tourner leur veste qu’à avoir un avis
autorisé. Ne nous flattons pas, nous avons eu notre « manif pour
tous » avec des curés hurleurs à leur tête qui ne dépareraient à l’Opus
Dei.
Un seul point satisfaisant, l’Espagne est le pays
« modèle » pour l’Europe d’intégration des « gens du
voyage », pour prendre une dénomination générale, pourtant avec une
population de ce type très nombreuse. Certes tout n’est pas rose, mais
l’exemple est probant d’intégration et de vie commune. J’en parlerais sans
doute prochainement.
Partout la politique européenne fait payer aux travailleurs
par les restrictions budgétaires et la baisse du coût du travail la crise du
système, mais même s’ils ne sont plus que des exécutants, les gouvernements
sont directement responsables puisque ce sont les seuls élus.
A bientôt.