Le forcené de Nantes avait frappé, dégommant le
petit peuple du marché de Noël. C’était à peine quelques jours après le drame
de Dijon où un autre chauffeur fou avait envoyé treize passants à l’hôpital.
Il ruminait ces nouvelles moroses tout en
caressant dans le sens du poil sa misanthropie. L’être humain se portait
décidemment bien mal. La fête jetait papillotes et guirlandes sur tous les maux
de la planète.
Et lui, il roulait ce jour-là sur sa piste
cyclable journalière, en routinier des transports doux, longeant la plateforme
du tramway et ses voitures qui lui prenaient de l’avance avant qu’il ne les
rejoigne à la prochaine station.
C’est à la station Vaulx-en-Velin La Soie que ça
s’est passé : un attroupement s’était provisoirement constitué à la
descente des voyageurs, avant que ceux-ci ne s’éparpillassent. Tous se
ressaisissaient de leurs sacs, choisissaient les directions nouvelles de ce
matin grisâtre, en butant sur les talons d’une personne plus âgée ou plus
lente. Une force s’est emparée de lui, le poussant à accélérer le pédalage,
monter en danseuse sur ses pédales, faire danser ses sacoches à l’unisson et à
foncer dans la foule en criant violemment « Allah
Akbar ». Son dix vitesses fendait l’air humide à l’approche de ce carnage
programmé, et il était trop tard pour actionner les deux notes de sa sonnette
quand ses hurlements atteignirent les oreilles de la gent. A son grand
étonnement, celle-ci ne parut pas terrorisée et se rangea sans précipitation en
deux paquets opposés, jetant à son encontre un regard blasé et somme-toute peu
hostile ; des adolescents prirent même son assaut pour une plaisanterie.
L’absence de choc lui fit perdre l’équilibre et chuter au milieu de
l’assemblée, sans avoir brusqué quiconque.
Seule la vidéo-surveillance du quai s’émut de
cette action.
Aujourd’hui, la police hésite encore entre l’acte
d’un terroriste et celui d’un déséquilibré.
E.H.
Ecrit le 1 janvier 2015