mercredi 21 janvier 2015

LE CYCLISTE DESEQUILIBRE



Le forcené de Nantes avait frappé, dégommant le petit peuple du marché de Noël. C’était à peine quelques jours après le drame de Dijon où un autre chauffeur fou avait envoyé treize passants à l’hôpital.
Il ruminait ces nouvelles moroses tout en caressant dans le sens du poil sa misanthropie. L’être humain se portait décidemment bien mal. La fête jetait papillotes et guirlandes sur tous les maux de la planète.
Et lui, il roulait ce jour-là sur sa piste cyclable journalière, en routinier des transports doux, longeant la plateforme du tramway et ses voitures qui lui prenaient de l’avance avant qu’il ne les rejoigne à la prochaine station.
C’est à la station Vaulx-en-Velin La Soie que ça s’est passé : un attroupement s’était provisoirement constitué à la descente des voyageurs, avant que ceux-ci ne s’éparpillassent. Tous se ressaisissaient de leurs sacs, choisissaient les directions nouvelles de ce matin grisâtre, en butant sur les talons d’une personne plus âgée ou plus lente. Une force s’est emparée de lui, le poussant à accélérer le pédalage, monter en danseuse sur ses pédales, faire danser ses sacoches à l’unisson et à foncer dans la foule en criant violemment « Allah Akbar ». Son dix vitesses fendait l’air humide à l’approche de ce carnage programmé, et il était trop tard pour actionner les deux notes de sa sonnette quand ses hurlements atteignirent les oreilles de la gent. A son grand étonnement, celle-ci ne parut pas terrorisée et se rangea sans précipitation en deux paquets opposés, jetant à son encontre un regard blasé et somme-toute peu hostile ; des adolescents prirent même son assaut pour une plaisanterie. L’absence de choc lui fit perdre l’équilibre et chuter au milieu de l’assemblée, sans avoir brusqué quiconque.
Seule la vidéo-surveillance du quai s’émut de cette action.
Aujourd’hui, la police hésite encore entre l’acte d’un terroriste et celui d’un déséquilibré.
E.H.
Ecrit le 1 janvier 2015