dimanche 7 avril 2013

Retour sur la viande de cheval renommée boeuf

 

 

 

Suivant notre habitude sur ce blog nous traitons rarement « l’actu », peu propice à la réflexion. Peut-être vous rappelez-vous le scandale de la viande de cheval « renommée » bœuf. Ce scandale limité, en apparence, à l’UE (Union Européenne) laquelle, comme le relève le journal roumain « Romania libera », « s’appelait Communauté économique européenne (CEE) jusqu’en 1993, titre qui reflétait bien mieux son essence » écrit-il. Personnellement je pense au contraire que le changement de « titre » n’est pas un hasard, mais reflète bien le passage de la domination de l’économique à celle du tout financier.  
A travers la presse britannique, où le scandale a commencé, et européenne essayons d’éclairer quelques points.

Tabous sociétaux.
Tout d’abord un article du maire de Londres depuis 2008 et toujours journaliste britannique, , Boris Johnson, membre du Parti conservateur, né en 1964 nous signale-t-on. Ses chroniques « ludiques, érudites et iconoclastes » paraissent tous les lundis dans The Daily Telegraph, le quotidien britannique grand format le plus vendu, très proche du Parti conservateur.

« Imaginez que vous êtes un anthropologue venu de Mars. Vous débarquez sur Terre. En ramassant un journal, vous découvrez que les habitants ne décolèrent pas parce qu’on leur a fait manger de la viande de cheval à leur insu. Vous remarquez les tentatives des ministères pour consoler le public endeuillé, l’inquiétude du Premier ministre qui redoute que cette affaire “dégoûtante” ne se retrouve au menu pour un bon moment et vous constatez l’hystérie généralisée qui s’est emparée du pays. Puis vous prenez le train pour Paris et dans un restaurant votre détecteur d’ADN vous informe que la belle pièce de viande sucrée qui se trouve dans votre assiette n’est autre que cette viande chevaline qui fait verser des larmes aux Britanniques.
Incroyable ! Voilà deux pays ayant à peu près le même niveau de civilisation, une histoire et des langues intimement liées, et qui à l’ère d’Internet affichent des conceptions radicalement différentes quant à la consommation de ce fier compagnon de l’humain qu’est le cheval. De fait, après un rapide tour du monde, vous découvrez que ce sont les scrupules britanniques qui semblent excessifs. Du Mexique au Kazakhstan, on trouve du cheval dans toutes les assiettes; et les Chinois n’hésitent pas à engloutir chaque année 1,7 million de canassons. L’hippophagie est un phénomène qui lie entre elles des communautés aussi étendues qu’hétérogènes. Et pourtant la viande de cheval reste un tabou en Grande-Bretagne. Fronçant frénétiquement vos sourcils verts, vous vous télétransportez tout autour du monde à la recherche d’autres exemples de tabous alimentaires. En quelques jours, votre récolte est abondante. Les pays musulmans mangent du chameau et des yeux de mouton mais ils ne touchent pas aux chiens, contrairement aux Coréens qui élèvent des milliers de canidés pour mieux les déguster. Certains cantons suisses se régalent de fricassée de chat, tandis que d’autres cantons sont scandalisés par ces pratiques. Certaines religions interdisent la consommation de porc et d’autres, celle des crustacés. Tout en remplissant votre carnet électronique de tous ces détails exotiques, vous tentez d’analyser ce mystère. Pourquoi un même aliment est-il interdit par certaines cultures et mis à l’honneur par d’autres ? Alors, pourquoi donc ?
Vous mâchonnez votre stylo intergalactique quand soudain vos yeux sortent de leurs orbites sur leurs longues tiges rouges : vous venez de comprendre. Tout est question de contrôle. Cette amusante espèce qui a nom Homo sapiens sort à peine de sa sauvagerie préhistorique et redoute plus que tout un retour à la barbarie et au chaos. La race humaine a donc élaboré au cours des millénaires l’idée du tabou comme instrument de cohésion sociale. Certaines choses sont nefastus,  haram, interdites. Au plan individuel et collectif, les peuples ont érigé de petites clôtures électriques dans leur tête, et, en tombant d’accord sur ce qui était tabou, ils ont défini leur identité, se déterminant par opposition aux autres, créant ainsi un sentiment d’identité essentiel. Par ce contrôle de petits détails de comportement, la société a pu étendre son contrôle à d’autres aspects plus importants. Vous découvrez alors que le plus intéressant dans le tabou, c’est qu’il évolue avec le temps. Certaines choses qui étaient acceptables à une époque donnée peuvent devenir source de scandale à une autre époque et vice versa. Le tabac est aujourd’hui tabou et ne reviendra jamais à la mode. Quant au mariage gay, à en croire les sondages, la majorité des gens ne comprend pas pourquoi on en fait tout un plat pour la simple raison que l’homosexualité n’est plus taboue. Aujourd’hui, c’est le sexe avec des mineurs qui est devenu un tabou beaucoup plus virulent. De retour dans votre soucoupe volante, vous rédigez les conclusions du rapport sur les tabous humains que vous allez présenter à vos confrères anthropologues dès votre retour sur Mars. Vous décidez que si les tabous varient selon les pays, c’est parce que leur contenu importe moins que la proscription elle-même ; et qu’une société se définit par ce qu’elle juge ou non acceptable. Sur quoi porteront les prochains interdits, concluez-vous brillamment ? Si pour les Britanniques et les Américains manger du chien, du chat et du cheval est déjà haram, combien de temps faudra-t-il pour que tous les animaux soient exclus de notre régime alimentaire ? Vous pariez que, dans cent ans, les Britanniques érigeront des monuments à la mémoire des multitudes d’animaux morts pour les nourrir, et le Premier ministre britannique présentera ses excuses à tous les bœufs abattus pour fournir le traditionnel roast beef du dimanche. »

Sur cette mise au point d’un britannique envers ses compatriotes, entrons dans le problème lui-même avec des extraits d’un article de  John Lichfield dans « The Independent on Sunday » :

 « …Elle est sortie d’abattoirs roumains qui produisent et découpent de la viande aussi bien bovine qu’équine. Elle a ensuite été importée, en passant par les Pays Bas, dans le sud de la France par une société fondée par deux frères rugbymen, les Spanghero, qui l’a revendue à une autre entreprise française, Comigel, de Metz. Enfin, elle a rejoint au Luxembourg voisin une usine fabriquant des plats surgelés pour des supermarchés de 16 pays de l’Union européenne. Mais la liste des intermédiaires n’est sans doute pas encore exhaustive. Le 10 février, Benoît Hamon, le ministre français chargé de la Consommation, détaillait de façon plus byzantine encore le parcours suivi par la viande. Selon une enquête préliminaire, a-t-il déclaré, elle serait aussi passée par Poujol, une autre société française, qui “a acquis la viande surgelée auprès d’un trader chypriote, qui avait sous-traité la commande à un trader situé aux Pays-Bas, ce dernier s’étant fourni auprès d’un abattoir […] situé en Roumanie”, précise le communiqué du ministère. »…« Des produits censés être composés de bœuf mais contenant de l’ADN de cheval ont été découverts en Irlande, en Espagne, en Suède, et sans doute aussi aux Pays-Bas. On sait que Comigel, la société française qui fournissait à Findus et à Aldi la viande frelatée contenue dans des lasagnes et des spaghettis à la bolognaise, distribue ses produits sous différentes marques dans 16 pays de l’UE. »…« A tout cela viennent s’ajouter les quantités colossales de viande chevaline importée en Europe pour l’alimentation animale ou humaine (les Italiens sont les plus gros consommateurs du continent), mais aussi pour des produits non alimentaires. En 2011, la France a importé 1,8 million de tonnes de viande de cheval du Canada, et 1,2 million de tonnes supplémentaires du Mexique, l’essentiel provenant à l’origine des Etats-Unis. L’Hexagone abat également 16 970 chevaux par an, mais dans cette crise sanitaire c’est plutôt la viande provenant d’Europe centrale et orientale, ainsi que des Etats-Unis, qui est montrée du doigt. »

La mondialisation est à l’honneur dans ces circuits, comme diraient les « experts » ; « c’est un circuit moderne et financièrement lucratif ». On peut remarquer que Comigel fabrique des plats cuisinés sous différentes marques, plus ou moins chères, mais finalement identiques. En fait le prix est déterminé par l’image plus ou moins bonne de la marque qui commercialise et non du contenu comme les « experts » s’appliquent à nous le faire croire. Ceci me fait penser à un article du supplément économique d’El Pais regrettant que la marque « Allemagne » se vende plus cher et plus facilement que la marque Espagne, alors que, par exemple, vous pouvez doubler sur l’autoroute des camions « montant vers le nord » avec des Opel neuves fabriquées à Saragosse pour être livrées en Allemagne ou ailleurs, avec l’estampille fabrication allemande.

Mats-Eric Nilsson dans le journal suédois Aftonbladet va plus loin dans cette implication de la finance et de la publicité :

«… Cela dit, je suis aussi choqué que n’importe qui par le dernier scandale alimentaire en date. La vraie révélation de cette affaire n’est pas tant que l’on ait mis du cheval dans un plat qui ne devait pas en contenir, mais plutôt que l’industrie agro­alimentaire se soit laissé berner et ait perdu la maîtrise de ses produits. Le fait que nous, consommateurs, ayons été trompés est déjà grave en soi. Mais, en réalité, le plus grave est que les entreprises responsables ne savent pas elles-mêmes ce qu’elles commercialisent. Par ailleurs, leurs déclarations ne veulent rien dire. “Nos lasagnes ont fait l’objet d’une sélection soigneuse de manière à répondre à nos critères rigoureux en matière de goût, de qualité et d’apport nutritionnel”, pouvait-on lire sur le produit Findus incriminé, aujourd’hui retiré de la vente. Alors qu’ils ne savaient manifestement même pas de quelle viande il s’agissait. Dans ces conditions, comment peuvent-ils se prononcer sur la qualité du produit ?
Toutes sont confectionnées par le même groupe français, qui, sous une multitude de marques, produit chaque année plusieurs dizaines de milliers de tonnes de plats cuisinés qu’il exporte vers quinze pays.
Le fond du problème réside dans la pression concurrentielle impitoyable, à l’œuvre dans un système totalement opaque, à la fois pour les autorités et pour le consommateur. Les ingrédients et les additifs sont achetés sur un marché au comptant international où celui qui fait l’offre la plus basse remporte le droit d’approvisionner les énormes usines de production d’où sortent aujourd’hui nos plats cuisinés.
Il n’est donc pas étonnant de découvrir qu’un fournisseur moins scrupuleux que les autres a eu l’idée de frauder. Et il y a fort à parier que ce scandale ne sera pas le dernier. A bien des égards, la production alimentaire mondiale est en pleine dérive. En vantant des produits fabriqués selon les recettes de nos mères et de nos grands-mères, l’industrie s’évertue à créer de la proximité et de l’authenticité. Or la vérité est que ses produits sont de plus en plus anonymes et se composent essentiellement d’ingrédients à bas prix importés du monde entier. »

  Les fonds d’investissement en cause…

Martha Gill dans l’hebdo britannique New Statesman  arrive au “vrai” problème :

« Jusqu’ici, on a peu parlé du fait que Findus, la société qui est aujourd’hui sur la sellette dans le scandale des produits à la viande de cheval, a été racheté en 2008 par le fonds d’investissement privé Lion Capital. En règle générale, les fonds d’investissement rendent les entreprises qu’ils rachètent plus rentables avant de les revendre avec profit. Ils sont également connus pour les faire crouler sous les dettes avant de leur imposer des programmes de réduction des coûts draconiens. Un rapide examen de l’expérience de Findus au cours des cinq dernières années montre que c’est exactement ce qui s’est produit dans son cas. En difficulté depuis son rachat, Findus a dû récemment recevoir une injection de 257,9 millions d’euros pour pouvoir rester à flot. Il a également subi une “importante restructuration” l’an dernier. En était-il arrivé au point de devoir utiliser de la viande moins chère ? L
e 8 février, les projecteurs se sont braqués sur Comigel, l’entreprise française qui fournit la viande à Findus. En 2007, le groupe Comigel a lui aussi été racheté par un fonds d’investissement privé, Céréa Capital qui a imposé des programmes de réduction des coûts.
Ce qu’il faut retenir de cette affaire, c’est que certaines sociétés ne peuvent supporter d’être restructurées au point de mettre leurs produits en péril. Et cela vaut particulièrement pour les entreprises alimentaires.
Pas besoin de test d’ADN. Nous devons juste surveiller les aliments qui sortent de filières comportant des entreprises rachetées : c’est de là que va venir le prochain scandale alimentaire. »

Pas folle Martha !
J’écrivais un article en 2008 sur l’ADT expliquant le rôle des fonds de pension et d’investissements dans la financiarisation des entreprises, et je concluais 
« L’histoire récente démontre que les dirigeants de ces fonds de pension et d’investissements ne s’occupent pas d’où vient l’argent, mais du système qui les a créés et des résultats financiers à l’intérieur de ce système, donc du profit. Ils se tournent vers le profit financier pur, l’investissement se désagrège, les moyens de production monopolisés ne se développent plus. On parle même aujourd’hui de prochaines famines dans les pays pauvres et de possibles pénuries de denrées alimentaires dans les pays riches (source ONU), non pour des problèmes climatiques, mais uniquement par des problèmes d’approvisionnement et de prix (Afrique, etc…) dues à la raréfaction de l’offre pour maintenir le profit, résultat de l’ « industrialisation » (ou « libéralisation ») de l’agriculture. Le cas du lait est symptomatique de cet état de fait. Il y a 30 ans le lait, produit en abondance en Europe était stocké pour les « excédents » et jeté à la mer pour maintenir, disait-on, les prix à la production. Aujourd’hui grâce à la « rationalisation » et l’industrialisation de la production (en fait garantir le profit des gros industriels du lait par une raréfaction ou « décroissance de l’offre ») la production de lait en Europe ne suffit plus. Depuis un an les augmentations sont énormes (près de 100% dans certains pays européens) dues à la raréfaction de l’offre. Le système économique capitaliste libéral a tué la majorité des producteurs (surtout les petits et moyens) pour garantir le profit. C’est l’assassinat organisé et planifié de millions d’humains de pays pauvres, ou appauvris dans les pays « riches ». Ce n’est qu’un exemple, beaucoup d’autres peuvent être cités (sources officielles ONU). Le capitalisme aborde son stade ultime. »
Toutes les filières sont susceptibles d’intéresser ces fonds « vautours », le bio au même titre.
 A bientôt.
Sources : Courrier International.