Suivant notre habitude sur
ce blog nous traitons rarement « l’actu », peu propice à la
réflexion. Peut-être vous rappelez-vous le scandale de la viande de cheval
« renommée » bœuf. Ce scandale limité, en apparence, à l’UE (Union
Européenne) laquelle, comme le relève le journal roumain « Romania
libera », « s’appelait Communauté économique européenne
(CEE) jusqu’en 1993, titre qui reflétait bien mieux son essence » écrit-il. Personnellement je pense au contraire que
le changement de « titre »
n’est pas un hasard, mais reflète bien le passage de la domination de
l’économique à celle du tout financier.
A travers la presse
britannique, où le scandale a commencé, et européenne essayons d’éclairer
quelques points.
Tabous sociétaux.
Tout
d’abord un article du maire de Londres depuis 2008 et toujours journaliste
britannique, , Boris Johnson, membre du Parti conservateur, né en 1964
nous signale-t-on. Ses chroniques « ludiques, érudites et
iconoclastes » paraissent tous les lundis
dans The Daily Telegraph,
le quotidien britannique grand format le plus vendu, très proche du Parti
conservateur.
« Imaginez que vous êtes un
anthropologue venu de Mars. Vous débarquez sur Terre. En ramassant un journal,
vous découvrez que les habitants ne décolèrent pas parce qu’on leur a fait
manger de la viande de cheval à leur insu. Vous remarquez les tentatives des
ministères pour consoler le public endeuillé, l’inquiétude du Premier ministre
qui redoute que cette affaire “dégoûtante” ne se retrouve au menu pour un bon
moment et vous constatez l’hystérie généralisée qui s’est emparée du pays. Puis
vous prenez le train pour Paris et dans un restaurant votre détecteur d’ADN
vous informe que la belle pièce de viande sucrée qui se trouve dans votre assiette
n’est autre que cette viande chevaline qui fait verser des larmes aux
Britanniques.
Incroyable ! Voilà deux pays ayant à peu près le même niveau de
civilisation, une histoire et des langues intimement liées, et qui à l’ère
d’Internet affichent des conceptions radicalement différentes quant à la
consommation de ce fier compagnon de l’humain qu’est le cheval. De fait, après
un rapide tour du monde, vous découvrez que ce sont les scrupules britanniques
qui semblent excessifs. Du Mexique au Kazakhstan, on trouve du cheval dans
toutes les assiettes; et les Chinois n’hésitent pas à engloutir chaque année
1,7 million de canassons. L’hippophagie est un phénomène qui lie entre
elles des communautés aussi étendues qu’hétérogènes. Et pourtant la viande de cheval
reste un tabou en Grande-Bretagne. Fronçant frénétiquement vos sourcils verts,
vous vous télétransportez tout autour du monde à la recherche d’autres exemples
de tabous alimentaires. En quelques jours, votre récolte est abondante. Les pays musulmans mangent du
chameau et des yeux de mouton mais ils ne touchent pas aux chiens,
contrairement aux Coréens qui élèvent des milliers de canidés pour mieux les
déguster. Certains cantons suisses se régalent de fricassée de chat, tandis que
d’autres cantons sont scandalisés par ces pratiques. Certaines religions
interdisent la consommation de porc et d’autres, celle des crustacés. Tout en remplissant votre carnet électronique de tous ces détails exotiques,
vous tentez d’analyser ce mystère. Pourquoi un même aliment est-il interdit par
certaines cultures et mis à l’honneur par d’autres ? Alors, pourquoi
donc ?
Vous mâchonnez votre stylo intergalactique quand soudain vos yeux sortent de
leurs orbites sur leurs longues tiges rouges : vous venez de comprendre.
Tout est question de contrôle. Cette amusante espèce qui a nom Homo sapiens
sort à peine de sa sauvagerie préhistorique et redoute plus que tout un retour
à la barbarie et au chaos. La race humaine a donc élaboré au cours des
millénaires l’idée du tabou comme
instrument de cohésion sociale. Certaines choses sont nefastus, haram, interdites. Au plan individuel et collectif, les peuples ont érigé
de petites clôtures électriques dans leur tête, et, en tombant d’accord sur ce
qui était tabou, ils ont défini leur identité, se déterminant par opposition
aux autres, créant ainsi un sentiment d’identité essentiel. Par ce contrôle de
petits détails de comportement, la société a pu étendre son contrôle à d’autres
aspects plus importants. Vous découvrez alors que le plus intéressant dans le
tabou, c’est qu’il évolue avec le temps. Certaines choses qui étaient
acceptables à une époque donnée peuvent devenir source de scandale à une autre
époque et vice versa. Le tabac est aujourd’hui tabou et ne reviendra jamais à
la mode. Quant au mariage gay, à en croire les sondages, la majorité des gens
ne comprend pas pourquoi on en fait tout un plat pour la simple raison que
l’homosexualité n’est plus taboue. Aujourd’hui, c’est le sexe avec des mineurs
qui est devenu un tabou beaucoup plus virulent. De retour dans votre soucoupe volante, vous rédigez les conclusions du rapport
sur les tabous humains que vous allez présenter à vos confrères anthropologues
dès votre retour sur Mars. Vous décidez que si les tabous varient selon les
pays, c’est parce que leur contenu importe moins que la proscription
elle-même ; et qu’une société se définit par ce qu’elle juge ou non
acceptable. Sur quoi porteront les prochains interdits, concluez-vous brillamment ? Si
pour les Britanniques et les Américains manger du chien, du chat et du cheval
est déjà haram, combien de temps faudra-t-il pour que tous les animaux
soient exclus de notre régime alimentaire ? Vous pariez que, dans cent
ans, les Britanniques érigeront des monuments à la mémoire des multitudes d’animaux
morts pour les nourrir, et le Premier ministre britannique présentera ses
excuses à tous les bœufs abattus pour fournir le traditionnel roast beef
du dimanche. »
Sur cette mise au point d’un
britannique envers ses compatriotes, entrons dans le problème lui-même avec des
extraits d’un article de John Lichfield
dans « The Independent on Sunday » :
« …Elle est
sortie d’abattoirs roumains qui produisent et découpent de la viande aussi bien
bovine qu’équine. Elle a ensuite été importée, en passant par les Pays Bas, dans
le sud de la France par une société fondée par deux frères rugbymen, les
Spanghero, qui l’a revendue à une autre entreprise française, Comigel, de Metz.
Enfin, elle a rejoint au Luxembourg voisin une usine fabriquant des plats
surgelés pour des supermarchés de 16 pays de l’Union européenne. Mais la
liste des intermédiaires n’est sans doute pas encore exhaustive. Le
10 février, Benoît Hamon, le ministre français chargé de la Consommation,
détaillait de façon plus byzantine encore le parcours suivi par la viande.
Selon une enquête préliminaire, a-t-il déclaré, elle serait aussi passée par
Poujol, une autre société française, qui “a acquis la viande surgelée
auprès d’un trader chypriote, qui avait sous-traité la commande à un trader
situé aux Pays-Bas, ce dernier s’étant fourni auprès d’un abattoir […] situé en
Roumanie”, précise le
communiqué du ministère. »…« Des produits censés être composés de
bœuf mais contenant de l’ADN de cheval ont été découverts en Irlande, en
Espagne, en Suède, et sans doute aussi aux Pays-Bas. On sait que Comigel, la
société française qui fournissait à Findus et à Aldi la viande frelatée
contenue dans des lasagnes et des spaghettis à la bolognaise, distribue ses
produits sous différentes marques dans
16 pays de l’UE. »…« A tout cela viennent s’ajouter les
quantités colossales de viande chevaline importée en Europe pour l’alimentation
animale ou humaine (les Italiens sont les plus gros consommateurs du
continent), mais aussi pour des produits non alimentaires. En 2011, la France a
importé 1,8 million de tonnes de viande de cheval du Canada, et
1,2 million de tonnes supplémentaires du Mexique, l’essentiel provenant à
l’origine des Etats-Unis. L’Hexagone abat également 16 970 chevaux
par an, mais dans cette crise sanitaire c’est plutôt la viande provenant
d’Europe centrale et orientale, ainsi que des Etats-Unis, qui est montrée du
doigt. »
La mondialisation est à
l’honneur dans ces circuits, comme diraient les « experts » ; « c’est un circuit moderne et
financièrement lucratif ». On peut remarquer que Comigel fabrique des
plats cuisinés sous différentes marques, plus ou moins chères, mais finalement
identiques. En fait le prix est déterminé par l’image plus ou moins bonne de la
marque qui commercialise et non du contenu comme les « experts »
s’appliquent à nous le faire croire. Ceci me fait penser à un article du
supplément économique d’El Pais regrettant que la marque
« Allemagne » se vende plus cher et plus facilement que la marque
Espagne, alors que, par exemple, vous pouvez doubler sur l’autoroute des
camions « montant vers le nord » avec des Opel neuves fabriquées à
Saragosse pour être livrées en Allemagne ou ailleurs, avec l’estampille fabrication allemande.
Mats-Eric Nilsson dans le
journal suédois Aftonbladet va plus loin dans cette
implication de la finance et de la publicité :
«… Cela dit, je suis aussi choqué que n’importe qui par
le dernier scandale alimentaire en date. La vraie révélation de cette affaire
n’est pas tant que l’on ait mis du cheval dans un plat qui ne devait pas en
contenir, mais plutôt que l’industrie agroalimentaire se soit laissé berner et
ait perdu la maîtrise de ses produits. Le fait que nous, consommateurs, ayons
été trompés est déjà grave en soi. Mais, en réalité, le plus grave est que les entreprises responsables ne savent pas
elles-mêmes ce qu’elles commercialisent. Par ailleurs, leurs déclarations
ne veulent rien dire. “Nos lasagnes ont fait l’objet d’une sélection
soigneuse de manière à répondre à nos critères rigoureux en matière de goût, de
qualité et d’apport nutritionnel”, pouvait-on lire sur le produit Findus
incriminé, aujourd’hui retiré de la vente. Alors qu’ils ne savaient
manifestement même pas de quelle viande il s’agissait. Dans ces conditions,
comment peuvent-ils se prononcer sur la qualité du produit ?
Toutes sont confectionnées par le même groupe français, qui,
sous une multitude de marques, produit chaque année plusieurs dizaines de
milliers de tonnes de plats cuisinés qu’il exporte vers quinze pays.
Le fond du problème réside dans la pression concurrentielle
impitoyable, à l’œuvre dans un système totalement opaque, à la fois pour les
autorités et pour le consommateur. Les ingrédients et les additifs sont achetés
sur un marché au comptant international où celui qui fait l’offre la plus basse
remporte le droit d’approvisionner les énormes usines de production d’où
sortent aujourd’hui nos plats cuisinés.
Il n’est donc pas étonnant de découvrir qu’un fournisseur moins scrupuleux que
les autres a eu l’idée de frauder. Et il y a fort à parier que ce scandale ne
sera pas le dernier. A bien des égards, la production alimentaire mondiale est
en pleine dérive. En vantant des produits fabriqués selon les recettes de nos
mères et de nos grands-mères, l’industrie s’évertue à créer de la proximité et
de l’authenticité. Or la vérité est que ses produits sont de plus en plus
anonymes et se composent essentiellement d’ingrédients à bas prix importés du
monde entier. »
Les fonds d’investissement en cause…
Martha Gill dans l’hebdo
britannique New Statesman arrive au
“vrai” problème :
« Jusqu’ici, on a peu parlé du fait que Findus, la
société qui est aujourd’hui sur la sellette dans le scandale des produits à la
viande de cheval, a été racheté en 2008 par le fonds d’investissement
privé Lion Capital. En règle générale, les fonds d’investissement rendent les
entreprises qu’ils rachètent plus rentables avant de les revendre avec profit.
Ils sont également connus pour les faire crouler sous les dettes avant de leur
imposer des programmes de réduction des coûts draconiens. Un rapide examen de
l’expérience de Findus au cours des cinq dernières années montre que c’est
exactement ce qui s’est produit dans son cas. En difficulté depuis son rachat, Findus a dû récemment recevoir une injection
de 257,9 millions d’euros pour pouvoir rester à flot. Il a également subi
une “importante restructuration” l’an dernier. En était-il arrivé au point de
devoir utiliser de la viande moins chère ? L
e 8 février, les projecteurs se sont braqués sur
Comigel, l’entreprise française qui fournit la viande à Findus. En 2007,
le groupe Comigel a lui aussi été racheté par un fonds d’investissement privé,
Céréa Capital qui a imposé des programmes de réduction des coûts.
Ce qu’il faut retenir de cette affaire, c’est que certaines sociétés ne peuvent
supporter d’être restructurées au point de mettre leurs produits en péril. Et
cela vaut particulièrement pour les entreprises alimentaires.
Pas besoin de test d’ADN. Nous devons juste surveiller les aliments qui sortent
de filières comportant des entreprises rachetées : c’est de là que va
venir le prochain scandale alimentaire. »
Pas folle Martha !
J’écrivais un article en 2008 sur l’ADT expliquant le rôle des fonds de
pension et d’investissements dans la financiarisation des entreprises, et je
concluais :
« L’histoire
récente démontre que les dirigeants de ces fonds de pension et
d’investissements ne s’occupent pas d’où vient l’argent, mais du système qui
les a créés et des résultats financiers à l’intérieur de ce système, donc du
profit. Ils se tournent vers le profit financier pur, l’investissement se
désagrège, les moyens de production monopolisés ne se développent plus. On
parle même aujourd’hui de prochaines famines dans les pays pauvres et de
possibles pénuries de denrées alimentaires dans les pays riches (source ONU),
non pour des problèmes climatiques, mais uniquement par des problèmes
d’approvisionnement et de prix (Afrique, etc…) dues à la raréfaction de l’offre
pour maintenir le profit, résultat de
l’ « industrialisation » (ou « libéralisation ») de
l’agriculture. Le cas du lait est symptomatique de cet état de fait. Il y a 30
ans le lait, produit en abondance en Europe était stocké pour les
« excédents » et jeté à la mer pour maintenir, disait-on, les prix à
la production. Aujourd’hui grâce à la « rationalisation » et
l’industrialisation de la production (en fait garantir le profit des gros
industriels du lait par une raréfaction ou « décroissance de l’offre »)
la production de lait en Europe ne suffit plus. Depuis un an les augmentations
sont énormes (près de 100% dans certains pays européens) dues à la raréfaction
de l’offre. Le système économique capitaliste libéral a tué la majorité des
producteurs (surtout les petits et moyens) pour garantir le profit. C’est
l’assassinat organisé et planifié de millions d’humains de pays pauvres, ou
appauvris dans les pays « riches ». Ce n’est qu’un exemple, beaucoup
d’autres peuvent être cités (sources officielles ONU). Le capitalisme aborde
son stade ultime. »
Toutes les
filières sont susceptibles d’intéresser ces fonds « vautours », le
bio au même titre.
A bientôt.
Sources : Courrier International.